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D’abord que dit le traité de Lisbonne (Article 125 ex Article 103 TCE), celui justement qui interdit les prêts aux Etats ?
« L'Union ne répond pas des engagements des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres autorités publiques ou d'autres organismes ou entreprises publics d'un État membre, ni ne les prend à sa charge, sans préjudice des garanties financières mutuelles pour la réalisation en commun d'un projet spécifique. Un État membre ne répond pas des engagements des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres autorités publiques ou d'autres organismes ou entreprises publics d'un autre État membre, ni ne les prend à sa charge, sans préjudice des garanties financières mutuelles pour la réalisation en commun d'un projet spécifique. »
Bon, voilà, c’est clair : chaque pays roule pour lui-même, il ne peut y avoir de solidarité financière entre eux. À moins que le volcan islandais ne déverse toutes ses cendres sur le continent, pas question de filer un rond aux Etats, comme le confirme l’Article 122 (ex Article 100.2 TCE) qui stipule :
« Lorsqu'un État membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison de catastrophes naturelles ou d'événements exceptionnels échappant à son contrôle, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière de l'Union à l'État membre concerné. Le président du Conseil informe le Parlement Européen de la décision prise. »
Pas de volcan donc pour l’heure. Pas plus que « d’événements exceptionnels échappant » au contrôle de l’Etat grec, chacun sachant que les chiffres de la République hellénique ont été sciemment truqués.
Voilà pourquoi Trichet est hors de lui quand il s’agit d’acheter de la dette des Etats membres de la zone ce qui est absolument contre sa nature. Mais pour sauver la face, le Président de la BCE peut toujours s’appuyer sur une interprétation moins restrictive, comme le rappel Sylvain Broyer, l’un des auteur de la note de Natixis : « Cette précision sur l’acquisition directe, a souvent donné lieu à une interprétation hâtive du traité, spéculant sur une acquisition indirecte, via le marché secondaire, de titres de dette publique. » Indirecte, c’est à dire auprès des banques. Ce que justement la BCE s’apprête à faire désormais. Pour le plus grand bonheur des établissements financiers européens qui pourront emprunter à 1% à la BCE puis prêter cet argent à 3,5% à la France et 6,5% à la Grèce, sans plus aucun risque puisque la BCE pourra toujours racheter ces papiers en cas de pépin…
Pourtant cette faculté de rachat dit indirect n’est pas si claire. Les Allemands ont toujours eu peur du laxisme de leurs partenaires en matière monétaire et ont toujours fait en sorte de cadenasser la banque centrale et les limiter éventuelles tentations des pays hier qu’ils qualifiaient il y a encore peu de temps de pays du Club med. Ainsi le règlement du Conseil (CE) 3603/93, du 13 décembre 1993, précisant les définitions nécessaires à l’application des interdictions énoncées à l’article 123 du traité, considère-t-il que « les achats effectués sur le marché secondaire ne doivent pas servir à contourner l’objectif poursuivi par cet article. »
Là, c’est clair : c’est NIET. Il y a interdiction de tout financement d’obligations du secteur public.
C’est sur cette base qu’a été introduite une seconde plainte auprès du Tribunal constitutionnel allemand. Markus Kerber, de l’Université de Berlin et prof à Sciences Po Paris fait suite à la première plainte déposée par ses copains de l’école de Fribourg, une école de pensée en droite ligne avec les ayatollahs monétaristes de l’école de Chicago. Une belle bataille d’avocats en perspective.
Reste une question. Pourquoi les agences de notation font comme si de rien n’était. Elles ont une nouvelle fois menacé la Grèce de dégradation de sa signature, alors même que le plan de sauvetage garantit le remboursement de la dette de cet état. « Il y a dix ans, les agences de notations s’étaient satisfaites d’une simple phrase du Trésor américain. À l’époque, il avait accordé sa garantie implicite à Freddy Mac et Fanny Mae, ce que les agences avaient immédiatement intégré en redonnant à ces deux établissements financiers la même note, AAA, que leur garant, l’Etat américain. Et là, tout ce qui a été dit de la part des plus importantes autorités européennes pour garantir la Grèce ne les pas fait bouger d’un pouce », s’étonne Sylvain Broyer.
Emmanuel Lévy
Mercredi 12 mai 2010