Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de France. Cela viendrait-il du Palais ? À Radio France, deux humoristes ont été retirés de la grille de programmation : Stéphane Guillon a été remercié, et Didier Porte a été licencié (Après Guillon, Didier Porte renvoyé de France Inter, Le Monde.fr, 23 juin 2010).
Stéphane Guillon et Didier Porte
Dans le même temps, le PDG de Radio France, Jean-Luc Hees, désigné à ce poste par le président de la République, accorde une interview au journal Le Monde (Jean-Luc Hees : " Je ne m'appelle pas Domenech ", Le Monde daté du 24 juin 2010), extrait :
« La saison de France Inter a été ponctuée par les polémiques autour des chroniques de Stéphane Guillon et, dernièrement, de Didier Porte. Les auditeurs les retrouveront-ils dans la nouvelle matinale de septembre ?
Non, car je ne m'appelle pas Raymond Domenech ! J'ai eu de nombreuses discussions avec M. Guillon à propos de ses chroniques. Si l'humour se résume à l'insulte, je ne peux le tolérer pour les autres mais aussi pour moi. Quel patron d'une grande entreprise accepterait de se faire insulter par un de ses salariés sans le sanctionner ? J'ai un certain sens de l'honneur ; je ne peux accepter que l'on me crache dessus en direct.
L'humour ne doit pas être confisqué par de petits tyrans. Je prends cette décision non pas sur une quelconque pression politique mais en m'appuyant sur des valeurs minimales d'éducation et de service public. Je considère que cette tranche d'humour est un échec. Elle a montré une grande misère intellectuelle, dont je ne m'accommode pas. Il n'y aura pas de changement d'horaire ni de remplaçants. Ce qui ne fait pas rire à 7 h 55 ne me fera pas plus rire à 3 heures du matin. Je sais qu'en prenant cette décision il y a un risque. Mais j'assume ! »
Mais les « petits tyrans » ne sont pas ceux qu’on croit : à Jean-Luc Hees, on peut ajouter Philippe Val, directeur de France Inter. Pourtant, ce dernier est également un ancien humoriste, ancien de Charlie Hebdo ; mais sa nature autoritaire et dirigiste, ses méthodes contestées étaient connues de la profession. Déjà, en 2008, il licenciait, causant un scandale parmi les humoristes et les caricaturistes, Siné de Charlie Hebdo, pour avoir osé dire à propos de Jean Sarkozy :
« Jean Sarkozy vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée juive et héritière des fondateurs Darty […] Il ira loin ce petit ! ».
Philippe Val, après la chronique du 20 mai 2010 de Didier Porte, envoyait une note interne écrite avec Laurence Bloch, nommée par Jean-Luc Hees aux côtés de M. Val suite à des « maladresses », aux producteurs, journalistes et chroniqueurs de France Inter (Val enfonce Porte dans une note interne, Libération, 10 juin 2010) :
«À plusieurs reprises, au cours de ces dernières semaines, l’antenne a été instrumentalisée à des fins personnelles, au mépris de l’intérêt général. Récemment encore, un chroniqueur a répondu sur l’antenne de France Inter à des médias extérieurs à Radio France qui le mettaient en cause […]. Ceci est intolérable et sera désormais sanctionné comme il se doit.»
La personne visée était Didier Porte, qui avait lancé dans le Fou du Roi sur France Inter : « J’ai l’impression que je vais avoir du temps libre. »
Dans le même temps, la tension augmente entre Laurence Bloch et Philippe Val d’une part, et la rédaction d’autre part, deux programmes « emblématiques » selon la société des journalistes (SDJ) étant supprimés dans la grille de rentrée, après l’arrêt sans remplacement de la tranche d’humour de Stéphane Guillon : « Et pourtant elle tourne », décryptage quotidien de l’actualité internationale, et « Esprit critique », magazine culturel. Le 17 juin, les journalistes de France Inter ont voté une motion contre M. Val et Mme Bloch, à plus de 60 voix sur une centaine (Les choix de la direction pour les programmes de rentrée provoquent la colère des journalistes de France Inter, Le Monde.fr, 19 juin 2010).
Les langues commencent à se délier. Guy Bedos, qui se considère comme le « parrain » de Stéphane Guillon, ne reconnaît plus Le Philippe Val qui lui était familier il y a encore quelques années ; il en va de même pour Guy Carlier. Stéphane Bern, qui anime le Fou du Roi, a apporté son soutien à Didier Porte et a pris rendez-vous avec Jean-Luc Hees pour plaider sa cause ; le public du Fou du Roi a sifflé la direction.
Et tous ces événements sont rapportés dans Le Monde.fr, qui vient de recevoir 2 offres de reprise : dans l’une d’elle, France Télécom, dont le directeur général est Stéphane Richard, l’ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde de 2007 à 2009, doit reprendre l’intégralité du journal électronique, Le Monde.fr, pour 20 millions d’euros… (voir l’article Sarkozy pris la main dans «le Monde»)
La nuit dernière, sur 60 réactions à l’article ci-dessous, 80% critiquaient le licenciement des deux humoristes, 18% étaient bien contents, et 2% … n’avaient pas d’avis.
F.M.
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23.06.10 | 13h34
Stéphane Guillon, deux ans de polémiques
Arrivé en janvier 2008 pour assurer la chronique humoristique de France Inter les lundi, mardi et mercredi, Stéphane Guillon a été remercié par Jean-Luc Hees et ne sera donc pas présent à la rentrée 2010. Depuis sa chronique de février 2009 sur les mœurs de Dominique Strauss-Kahn, l'humoriste était devenu la bête noire de la direction de Radio France. Dès lors, Stéphane Guillon a multiplié les coups d'éclat, tirant aussi bien sur les politiques que sur ses relations avec Jean-Luc Hees et Philippe Val, le directeur de France Inter. Retour sur ces temps forts.
DSK ET AUBRY "LE PETIT POT À TABAC"
Le 17 février 2009, Dominique Strauss-Kahn est présent dans les studios de France Inter. Juste avant le début de son interview, Stéphane Guillon, dans sa chronique, intime aux employées de la radio de se mettre à l'abri, faisant allusion à la liaison du président du FMI avec l'une de ses subordonnées.
Dominique Strauss-Kahn goûte peu ces attaques et le fait savoir au début de son interview. "J'ai assez peu apprécié les commentaires de votre humoriste. Les responsables politiques ou d'action publique comme moi ont le droit – ou même le devoir – d'être critiqués par les humoristes. Mais l'humour, c'est pas drôle quand c'est principalement de la méchanceté..." La direction de France Inter présente ses excuses au président du FMI, tout en rappelant la liberté de l'exercice. Sur Internet, la vidéo est visionnée plus de 36 000 fois en moins de six heures.
Le lendemain, c'est au tour de Martine Aubry d'être de nouveau comparée à un "petit pot à tabac",comme dans une ancienne chronique de Guillon passée alors plutôt inaperçue.
Avec cette chronique, l'humoriste prévient qu'on ne pourra pas le censurer, et il s'en donnera à cœur joie au cours des mois suivants, imaginant par exemple la mort de Nicolas Sarkozy dans un crash d'avion, après la mort du président polonais Lech Kaczynski.
"LES YEUX DE FOUINE" D'ÉRIC BESSON
"Mata Hari de la politique française", Eric Besson est dépeint par Stéphane Guillon en mars 2010 comme "une taupe"ayant infiltré la gauche puis la droite pour le compte du Front national grâce à ses"yeux de fouine" et son "menton fuyant".
Interviewé sur le plateau quelques minutes plus tard, Eric Besson réagit vivement. Le ministre de l'immigration dénonce une précédente chronique sur les mariages gris :"Venant d'une autre radio et venant d'un autre personnage, on aurait dit qu'elle était raciste." Il enfonce le clou en visant la direction de France Inter. " Lorsque je parle comme je suis en train de le faire, je sais très bien que je lui fais de la publicité, je sais très bien qu'on va le considérer comme un martyr et qu'au nom de l'humour, il a le droit de tout dire. Or, l'époque souffre de ça : il faut arrêter les amalgames, il faut arrêter les anachronismes. La responsabilité de France Inter comme radio de service public, je pense que vous devriez y réfléchir."
La direction de Radio France ne tarde pas à présenter ses excuses au ministre. L'avenir de Stéphane Guillon à l'antenne devient incertain.
"AVERTISSEZ-MOI S'IL VOUS PLAÎT"
Fin mai 2010, Didier Porte, qui réalise la chronique humoristique le jeudi, est au cœur d'une polémiquepour avoir fictivement conseillé à Dominique de Villepin de répéter après lui la phrase "J'encule Sarkozy". Son avenir sur France Inter est remis en question après sa convocation dans le bureau de Philippe Val, où il écope d'un avertissement. Stéphane Guillon, prétextant "bouder" de ne pas avoir été mis à la porte alors que ses chroniques font déjà grand bruit, défie sa direction.
"Si je dis que je sodomise le président ça fait un avertissement. Mais si je dis que je sodomise le président qui a des yeux de merlan frit : attaque physique, deuxième avertissement !"
Le 23 juin 2010, Jean-Luc Hees révèle au l'éviction de Stéphane Guillon de l'antenne, et la disparition de la tranche humour dans la matinale. Et Didier Porte annonce son "licenciement" à l'AFP. Ultime provocation, Stéphane Guillon tire sa révérence en évoquant "France Inter en burqa".