Militants de l'Espoir à gauche réunit toutes celles et tous ceux qui soutiennent la ligne politique de Ségolène Royal pour une gauche démocratique, sociale, et écologique.
AXE TROISIEME : LA DEFENSE DES VALEURS REPUBLICAINES ou LA REPUBLIQUE DE LA FRATERNITE
Laurent Joffrin, qui n’est pas connu pour être particulièrement ségoléniste ( !), écrit ainsi, le 16 mars 2010, au lendemain du premier tour des élections régionales que « Le problème de la gauche… c’est le peuple. (…) il existe, hors les murs, une masse de citoyens qui, sous des formes diverses, disparates, confuses, sont entrés en dissidence. Ces citoyens se recrutent pour l’essentiel dans les classes populaires. (…) Ainsi la démocratie française, qui présente toutes les apparences de la solidité, vote en fait sur un volcan (…) Le problème se pose à Nicolas Sarkozy, qui avait réussi à rétablir, à droite en tout cas, une certaine confiance dans l’action politique. Mais il heurte tout autant la gauche, qui a trop souvent cru conjurer cette désaffection populaire en la qualifiant de «populiste», mot creux qui a surtout pour fonction de rassurer le bobo. La clé de la présidentielle prochaine se trouve dans la reconquête des classes populaires. Pour la réussir, il faudra trouver, en matière sociale, bien sûr - c’est la priorité - mais aussi dans le domaine de la sécurité et de l’immigration, des projets justes et efficaces. Même sans le dire, le peuple vient de l’exiger ». Merci à Laurent Joffrin, d’avaliser la démarche de Ségolène Royal, près de trois ans après ! Fait-il du « ségolénisme » sans Ségolène ?
Ségolène Royal avait provoqué des sarcasmes en évoquant en 2007, l’« ordre juste » ou la Nation (intégratrice) ! Quand c’est Laurent Joffrin qui évoque (article ci-dessus) des projets justes et efficaces dans le domaine de la sécurité et de l’immigration, les commentateurs « bien pensants » ne rient plus ! La campagne de 2007 a été l’occasion pour Ségolène Royal de mettre en avant un certain nombre de thèmes jusque là délaissés par la gauche. La question centrale est bien celle de la reconquête de ces « classes populaires abandonnées par les élites » selon les mots de Julien Dray, alors porte-parole de la candidate en 2007. Nous avons déjà détaillé (dans la partie précédente) le divorce intervenu entre la gauche – et notamment le PS – et ces catégories populaires. En bref, il ne s’agit pas de refaire « la même erreur qu’en 2002 avec la sécurité [127]». Dans le contexte des délocalisations, d’une « mondialisation » impersonnelle, la question de l’identité (nationale) prend une importance particulière, dès lors que des populations fragilisées cherchent « dans l’Etat, une réassurance face aux risques de la globalisation[128]». Ceci n’exclut pas la question sociale, nous espérons l’avoir montré dans la partie précédente - c’est même « parce qu'elle a d'abord «parlé du social et de la France métissée» que la candidate peut se permettre aujourd'hui de contrecarrer l'offensive de Sarkozy, qui a, lui, établi un lien entre «la crise de l'identité et l'immigration» (à travers sa proposition, puis la création ) d’un «ministère de l'immigration et de l'identité nationale … Son discours sur la nation est adossé à ce qu'elle dit sur la valeur travail, la lutte contre la précarité [129]» . Pour Julien Dray, «les classes populaires ont l'impression que la France fout le camp. Il y a une inquiétude. On ne peut pas regarder ce qui s'est passé le 29 mai 2005 lors du référendum sur l'Europe et éluder cette question». Reconquérir la « Nation », concept révolutionnaire, s’il en est, ne pas l’abandonner à la droite et à l’extrême droite, est une oeuvre absolument nécessaire, indispensable à la gauche ! Car la nation que nous défendons est une toute autre nation, une Nation « héritée des Lumières ».
A) L’ordre juste
1) L'ordre juste n’est pas l’ordre moral
A Privas , en mars 2006 , Ségolène Royal estime qu’il : « faut rétablir un ordre juste par le retour à la confiance, par le retour de repères clairs, par le bon fonctionnement des services publics, par des règles d'honnêteté (...) valables pour tous ». L’ordre juste a pu faire frémir alors dans les rangs du PS ; il évoque aujourd’hui, après la crise, bien plus un monde de stabilité, ordonné et juste. Le PS évoque la notion de « juste échange » ; l’ordre juste peut en effet se décliner dans nombre de domaines, aussi bien ordre juste économique qu’environnemental, à travers la « social-écologie » également reprise par l’ensemble du PS aujourd’hui.
Sophie Bouchet-Pétersen, conseillère de Ségolène Royal, a tenu précisément à poser « l’ordre juste » comme antinomique à l’ « ordre moral »[130] Ainsi, nous dit-elle, Ségolène Royal n'a jamais prôné un ordre moral d'un autre âge mais « un ordre juste où la libéralisation des moeurs et l'heureux affranchissement des carcans d'antan, hâté par les combats des féministes (….) ne saurait être [131] … la pure et simple soumission à un rapport de forces structurellement déséquilibré ». Et de citer Michel Onfray, qui note que « la morale n'est pas une affaire de moralisme benêt mais de justice sociale », ce qui nous ramène à notre partie précédente !
Ainsi peut-on donner un « fondement résolument moral « au socialisme »[132], et le faire reposer sur le sentiment social qui lie l’homme à l’homme. S. Bouchet-Pétersen relève l’amalgame qui consiste à … assimiler toute la génération soixante-huitarde (dont elle est sans remords ) « au crétinisme du « il est interdit d'interdire » ».Ségolène Royal a d’emblée relié l’injustice et le désordre : « Jaurès le disait déjà quand il appelait à en finir avec l'injustice qui, du père au fils, passe avec le sang. Et François Mitterrand aussi, pour qui le premier scandale était dans l'injustice fauteuse de désordre ».
Cependant, c’est « la simple utilisation du mot « ordre » (qui est apparue) suspecte, au mieux conservatrice, au pis réactionnaire » aux yeux de certains « camarades » socialistes , notait Michel Noblecourt dans un article du Monde[133]. Il faut en effet préciser que le concept d' « ordre juste » trouve sa racine dans la Somme théologique de Saint-Thomas d'Aquin et re-situer l’utilisation du terme historiquement, utilisé par le catholicisme social - mais aussi par la droite pour faire pièce au « mouvement » incarné par les progressistes et les révolutionnaires - avant la transformation par Mac Mahon en « ordre moral ». Cependant, le concept d’ordre n’appartient pas à la droite ou au catholicisme.
La question qui se pose est de savoir si l’ordre est ou non « antinomique » du socialisme. Michel Noblecourt se réfère à un article publié en 2004 par Les Notes de la Fondation Jean-Jaurès [134] sur "la question des libertés dans le socialisme" et à un tout autre éclairage apporté par Monique Canto-Sperber : « Le socialisme est né d'un intense sentiment de désordre social. Saint-Simon, Fourier, Proudhon tournent en dérision l'optimisme libéral selon lequel la liberté totale des échanges, du travail et des contrats finira par produire l'abondance, condition optimale pour la réalisation du meilleur état social ». Face à l' « anarchie industrielle », Mme Canto-Sperber souligne que "les premiers penseurs socialistes avaient pour ambition de recréer une société de cohésion, d'esprit commun, au moyen de réformes concrètes. Le remède qu'ils recommandaient était d'insérer l'initiative individuelle, surtout économique, dans des cadres collectifs, de la "socialiser" au sens strict et de traduire éventuellement cette socialisation dans une organisation de l'ensemble de la société ». En bref, sont ici opposés ordre socialiste et désordre libéral … Ceci est à replacer dans l’appel de Ségolène Royal à un « ordre économique juste », à savoir « un ordre économique qui cesse de voir la France tirée vers le bas, qui la remet vers le haut, qui refuse la société du "précariat", qui refuse l'insécurité salariale et qui fait en sorte que chacun puisse vivre dignement de son travail." En fait, « sa conception d'un ordre juste s'oppose aux désordres civiques et sociaux que sèment les politiques d'une droite dont le masque compassionnel ne cache pas la vraie brutalité ».
Michel Noblecourt relève encore qu’en septembre 1996, dans sa résolution finale, le 20ème congrès de l'Internationale socialiste, réuni à New York, appelait de ses voeux « l'apparition d'un ordre mondial juste et paisible ». De même, si dans son projet pour 2007, le PS s'abstenait de reprendre le concept d' « ordre juste » , on en retrouve trace dans une synthèse de la commission du projet sur la sécurité, publiée le 15 mars. 2006. « Le Parti socialiste, est-il indiqué, se fixera comme un de ses objectifs prioritaires l'instauration d'un "ordre juste" et d'une "sécurité durable" ». Mieux encore, Lionel Jospin, dans un livre publié en 2005[135] – que n’eût-il proclamé cela avec clarté avant le 21 avril 2002 ! - analysant "l'exigence de la sécurité" émanant des couches populaires, écrit : « Il faut donc assumer la valeur de l'ordre, c'est-à-dire du respect des règles » ; en effet, « il n'y a pas de liberté sans ordre, c'est-à-dire sans normes, sans coutumes, sans lois. L'ordre est consubstantiel à la liberté, et la République, soucieuse de l'intérêt général, s'attache à concilier l'ordre public et la liberté du citoyen». En bref, Ségolène Royal est soucieuse de voir la gauche ne s’interdire aucun champ d’action. Elle est donc bien dans le mouvement et non dans « la religion comme éternelle répétition du même [136]» !
2) La sécurité
Ségolène Royal a eu le courage de mettre le thème de la sécurité au cœur de sa campagne de 2007. Elle a su comprendre que les premières victimes de l’insécurité étaient les habitants des banlieues défavorisées eux-mêmes ! Ségolène Royal n’a pas renoncé. Pour elle, « le droit à la vie, à la liberté, à la sûreté de la personne humaine, comme c'est inscrit dans la déclaration universelle des droits de l'Homme, est un rôle fondamental que l'Etat doit assurer »
Certes, ici comme ailleurs, elle est rejointe par d’autres. Claude Bartolone, à la tête du Conseil général de la Seine Saint-Denis, tient aujourd’hui sur ce thème des propos qu’il eût qualifiés de réactionnaires dans la bouche de Ségolène Royal Elle s’est par exemple exprimée sur le thème de la sécurité le 20 avril 2010 sur France Info. Comme le note le blogueur Juan (les coulisses de Sarkofrance) : « si Valls avait parlé, il aurait dit qu’il faut être ferme contre les jeunes délinquants et que l’absentéisme scolaire en banlieue est un vrai problème. Si Hollande avait parlé, il aurait dit que Nicolas Sarkozy agite la sécurité comme un vacarme … Si Moscovici avait parlé, il aurait pointé vers le projet socialiste et ses grandes valeurs ». Il est vrai que la spécificité de Ségolène Royal est de proposer une politique concrète. Et de dire d’emblée : « on a besoin, non pas d’un vocabulaire de combat, mais d’une action de combat ». Elle entend distinguer trois types d’insécurité : les actes d’incivilité, la délinquance et la grande criminalité, qui supposent trois types de réponses, alliant prévention, répression et réinsertion. Il s’agit de garantir la dimension humaine et volontaire d’une politique de sécurité résolument tournée vers l’avenir - en permettant à chacun de trouver sa place dans la société.
- Pour les actes d’incivilité causés par « souvent de très jeunes enfants, de plus en plus jeunes aujourd'hui », Ségolène Royal veut instaurer « une articulation plus forte entre les adultes des quartiers, les adultes de l’école et les parents » et prône une réponse immédiate afin de prévenir ces actes.
- Quant à la délinquance, elle met en exergue les promesses non tenues de Nicolas Sarkozy : les centres d'éducation renforcés ne sont toujours pas construits. En effet, « ni la police, ni la justice n’ont les moyens d’agir ». Elle insiste à nouveau sur la prévention : « renforcer l'éducation, l'encadrement des jeunes, aider les parents et notamment les mères seules à éduquer les adolescents, et lutter contre une des causes majeures de la délinquance des jeunes qui est le chômage » Il est essentiel de leur « redonner le sens de leur utilité dans la société, parce que c'est vrai que sur la délinquance, la prison n'est pas la solution »
- S’agissant de la grande criminalité, Ségolène Royal insiste sur le manque de moyens : « Il y a eu sur trois ans, sur les années budgétaires 2008, 2009, 2010, 9000 suppressions d'emplois de policiers et de gendarmes. Sur le seul département de la Seine-St-Denis où le Président de la République vient de se rendre, il y a une demande réitérée de 400 policiers qui manquent dans ce département. ». En bref, il nous faut un Etat qui ne se gargarise pas seulement de mots mais soit à la hauteur dans l’action !
Dans le débat sur l’absentéisme scolaire, elle a par exemple suggéré de retirer les allocations aux familles et d’en confier la gestion aux écoles dans lesquelles sont les élèves concernés. Ainsi , « face à la montée de la violence et à la dégradation continue de la sécurité qui mine l’Ecole », Ségolène Royal a-t-elle, sur le site désirs d’avenir, « souhaité donner en priorité la parole aux enseignants et recueillir leurs témoignages, eux qui quotidiennement sont confrontés à ces problèmes : agressivité, incivilité, dégradations, perturbations et jusqu’aux agressions physiques ». Dominique Bertinotti, maire du 4ème arrondissement de Paris, notait sur son blog que si la diminution drastique des moyens financiers accordés à l’Education Nationale était bien un problème majeur, on ne pouvait se contenter d’un discours fondé uniquement sur les moyens . Elle ajoutait que Ségolène Royal nous appelait à une lucidité radicale. C’est bien au désir d’un nouveau discours de gauche sur l’école qu’il faut répondre.
Ségolène Royal refuse de laisser de côté ces questions majeures dans le cadre de l’élaboration d’un projet socialiste. En effet, la question de la sécurité de tous est fondamentale, il n’est plus possible d’éluder ce qui est une des fonctions de l’Etat.
B) Sur la Nation : identité nationale et République
Une Nation « héritée des Lumières » se situe tout à l'opposé du triste débat sur l'identité nationale qui opposa Nation et immigration. Ainsi, le philosophe Michel Onfray[137] eût souhaité que l’on se réappropriât le fameux débat sur l’identité nationale. Pourquoi ne pas dire en effet, que « la France c'est la Révolution française, … une certaine conception de la République qui fait preuve d'ouverture, de solidarité et de fraternité » ? C’est précisément , ajoute-t-il, parce que nous avons laissé cette question à la droite et à l'extrême-droite que l’identité nationale ainsi définie est mal en point. Il appelle à ne pas laisser le monopole de la définition de l’identité nationale à l’extrême droite, qui, elle, retient une définition raciale. Bien plus qu’à l’Etat, c’eût été aux partis politiques, aux citoyens, aux philosophes, aux sociologues de faire un grand débat … En fait, la France ne se situe pas dans la vision d’une Nation ethnique, de la filiation par le sang (jus sanguinis), mais dans une conception de la Nation qui a pu reconnaître l’affiliation nationale du fait de la naissance sur le territoire (jus soli). La Nation telle qu’elle est conçue en France, malgré des tensions et des résistances (historiques ?) s’est abreuvée aux sources de la philosophie des Lumières, reposant sur la reconnaissance des droits de l’individu et de la liberté politique, développant un aspect volontariste plutôt que figé et des valeurs partagées.
Nicolas Sarkozy , en manipulant les concepts, a ouvert une boîte de Pandore. J’ai précisé déjà, dans la première partie de ce texte, que dès sa campagne de 2007, ce caractère dangereux m ‘était apparu à travers le slogan « ensemble, tout devient possible » ; en effet Hannah Arendt , dans son ouvrage sur les « origines du totalitarisme », voit le « tout est possible » comme la croyance fondamentale du totalitarisme. Car le slogan choisi laisse entrevoir la totalité des possibles : à force de faire feu de tout bois, la porte est grande ouverte aux dérives … idéologiques . La manipulation du débat sur l’identité nationale est le dernier avatar de la politique sarkozyste. En bref, avec Nicolas Sarkozy, les concepts fondateurs de notre système politique sont tordus, mélangés, malaxés, touillés. Maniés, remaniés, qu’importe, puisque seul l’objectif compte. Et aussi la réception par les électeurs de base que nous sommes, supposés malléables … A nous de nous réapproprier les concepts fondateurs ! La notion d’identité elle-même appelle réflexion. L’identité peut renvoyer à des appartenances éventuelles, à quelque chose qui préexiste ; or la Nation au sens républicain n’est pas une dispersion, elle transcende la société civile. Catherine Kintzler[138] verrait même comme paradigme du citoyen, un être « singulier ». Je dirais qui, tel l’apprenti philosophe, aurait fait table rase de ses préjugés antérieurs pour construire sa propre pensée.
Avoir lié l’ « identité nationale » et l’ « immigration » était une erreur, que dis-je, une faute , oui, une faute morale, et cela dès la création du dit ministère . Eric Besson a beau jeu de publier un livre sur le concept de « nation » et de dire que la France ne connaît qu’une « communauté nationale » ! C’est là même un concept à valeur constitutionnelle , la Constitution, prônant l’unicité du peuple français, « … ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d'origine, de race ou de religion » [139] et par conséquent M.Besson et M. Sarkozy ne nous apprennent rien !
1) Une Nation « héritée des Lumières »
a) L’approche de Ségolène Royal à travers ses textes
La gauche ne doit pas craindre de discuter de la Nation. La Nation telle que nous l’entendons est un concept issu de la Révolution française ; Ségolène Royal a entrepris dès sa campagne ce travail de réappropriation. Ségolène Royal porte de longue date une vision de la France, de la Nation et de l'identité nationale, notait sur le site Désirs d’avenir, sa conseillère Sophie Bouchet-Pétersen : « son mérite n'est pas seulement d'avoir été la première à en parler, pas seulement d'avoir reconquis un terrain abandonné à tort à la droite, pas seulement d'avoir assumé cette cohérence au fil des ans, mais aussi d'avoir dit avec constance des choses profondes et fortes en phase avec les interrogations légitimes des Français confrontés à une mondialisation anarchique, à une Europe souvent décevante et aux mutations accélérées de la société française ». Elle refuse de confondre Péguy et Pétain, erreur trop souvent entretenue … C’est en effet toute une conception « fraternelle » de la Nation qu’elle développe, « à rebours des conformismes d'une certaine gauche ». Les extraits suivants des discours de Ségolène Royal figurent intégralement sur le site Désirs d’avenir[140].
La Nation, parce que ni la Nation ni l’amour de la France ne sont le nationalisme
Le 30 avril 2006[141], à Cambrin , elle présente « l'idée de nation (comme) une idée neuve qu'il va falloir redéfinir en la tournant vers le monde et en la tournant vers l'avenir. Le patriotisme est un mot qui a ici un sens vrai, parce qu'on se rappelle les hommes et les femmes qui ont perdu leur vie pour assurer notre liberté[142] ». Il est bon de toujours garder à l’esprit la distinction de Romain Gary entre le patriotisme entendu comme l’amour des siens et le nationalisme comme la haine des autres - au sens peut-être aussi où Sophie Bouchet-Pétersen appelle à ne pas confondre patriotisme populaire et nationalisme obtus. Le 6 avril 2007, à Carmaux, dans le Tarn, Ségolène Royal, à l’occasion d’un discours sur Jean Jaurès, évoque notamment sa conception de la Nation : « Jaurès avait l'amour de la France, de la République et de la Nation. Il croyait, et je crois avec lui, qu'un peu d'internationalisme éloigne de la patrie et que beaucoup y ramène. Il vibrait de ce patriotisme bien compris qui est l'ennemi du chauvinisme et le contraire du nationalisme (...). Il croyait profondément que le pays de France ne saurait se passer longtemps d'idéal ».
Ainsi, évoquant le 27 juin 2006, la mémoire de Louis Jaurès, fils de Jean, tombé au combat durant la guerre de 1914-1918 , « juste avant sa mort, Jaurès notait avec tristesse : « on nous a dénoncés comme de mauvais Français et c'est nous qui avions le souci de la France ! ». De Jean s'attachant de toutes ses forces à empêcher la guerre qui vient à Louis (Jaurès) s'y engageant de son propre chef, je tiens à souligner ici plus que la filiation : la cohérence. Car la haine de la guerre et l'amour de la patrie étaient, pour le père, indissociables. De même que l'esprit de défense et l'esprit de fraternité. Eviter les massacres de masse et le choc meurtrier des nationalismes égoïstes, oui. Se dérober à son devoir et capituler devant la loi du plus fort, jamais ».
Dès le 9 mai 2006, à Villeurbanne, Ségolène Royal donnait sa vision de l'action politique et des raisons … de nous interroger « sur ce qui fait France » de nos jours, sur ce que signifie notre «commune appartenance à la même nation »,
La Nation, parce que la France est une Nation solidaire qui a la passion de l’égalité
Le 27 juin 2006, Ségolène Royal, à Soissons, évoque, à propos de la mémoire de Louis Jaurès mort au front durant la guerre de 1914-1918, « le fil jamais interrompu d'une histoire qui – de Jaurès à Blum et aux combats d'aujourd'hui – nous oblige et nous porte. Cette histoire est indissociable des plus grandes pages de l'histoire de France et de conquêtes sociales pour lesquelles il fallut durement batailler ». C’est là toute la fierté d’un héritage. Le 20 août 2006 Ségolène Royal développe « deux visions de la France et deux conceptions opposées de l'exercice du pouvoir … enjeu de l'élection présidentielle ». Elle y affirme qu'une « autre France est possible » et s'en prend en particulier aux destructeurs de la valeur travail et des solidarités nationales. Quand le lien social se délite, c'est la Nation qui se fragilise ».
Le 29 septembre 2006, à Vitrolles, lors de l’annonce officielle de sa candidature à la candidature : « Ce désir de France que nous gardons au coeur n'est pas condamné à dépérir : il constitue un atout pour les combats d'aujourd'hui. Et cette « passion de l'égalité », constitutive de notre identité, reste de nos jours le meilleur guide pour l'action. Quand on demande aux Français ce qui, pour eux, symbolise le mieux la France, ce qui vient en premier, ce ne sont ni les frontières ni la langue, c'est le drapeau tricolore et la Sécurité sociale. L'emblème de la République et les outils de la solidarité : voilà ce qui cimente en premier l'appartenance commune. Mais plus les insécurités sociales quotidiennes et la précarité gagnent du terrain, plus les Français ont mal à la France. Et plus ils s'inquiètent de la pérennité de la nation, moins ils sont portés à la vouloir généreuse avec les siens et hospitalière aux autres. « Je crois, dit aussi Ségolène Royal ce jour-là, que la nation dans le monde d'aujourd'hui est protectrice des individus et doit apporter à chacun le renfort dont il a besoin pour maîtriser sa vie. Cette nation remplissant son devoir à l’égard de tous ses membres, je ne la veux pas frileuse, apeurée, défensive, doutant d’elle-même, mais au contraire porteuse d’un projet collectif et solidaire, d’un devoir d’invention qui lui donne tout son sens et tout son allant ! ». « Imaginer la France, poursuit-elle, c’est vrai, ne va plus de soi et nous devrons le faire ensemble[143]. Le 11 février 2007, lors du rassemblement de Villepinte, elle déclare refuser « cette société toujours plus violente (...), cette société du tous contre tous, de cette société du chacun pour soi. » Elle veut que la France aime sa jeunesse et exerce sur elle une juste autorité qui lui permette de grandir. Le 23 mars 2007, lors du meeting de Marseille où elle revient sur les axes majeurs de son pacte présidentiel, Ségolène Royal, développe sa conception d'une « identité nationale » qui exprime le peuple rassemblé et repose sur « la certitude que les règles du jeu sont les mêmes pour tous, quels que soient l'origine, le quartier, la naissance, la famille». Cette « garantie d'une égalité réelle», dit- elle, « c'est le premier fondement de notre identité nationale (…) l'identité nationale, ce n'est pas de demander des comptes sur d'où l'on vient mais de savoir vers où on veut aller ensemble ».
La Nation , parce que la France est Une Nation intégratrice et universaliste
Ainsi à Vitrolles en septembre 2006 : « Imaginer la France ne va plus de soi parce qu’elle s’est beaucoup transformée, pluralisée, diversifiée et colorée sans encore admettre totalement ce qu’elle est devenue. Pour en tirer parti et fierté, la France, je vous le dis, doit achever de reconnaître comme ses enfants légitimes ceux dont les familles sont venues d’ailleurs et qui sont aujourd’hui des Français à part entière quoique toujours exposés aux discriminations. Elle sera très tôt amenée à dénoncer « l’ insupportable amalgame » entre l'immigration et l'identité nationale. La Nation telle qu’elle la conçoit ne demande pas aux gens – aux citoyens - d'où ils viennent mais où ils veulent aller ensemble.
« L’honneur de la République, la fidélité de la France à ses idéaux, c’est aussi la lucidité d’une histoire partagée, dans une France respectueuse de toutes les mémoires, et accueillante à tous les siens, nés ici ou ailleurs[144]. Ce n’est jamais quand elle oublie ses valeurs mais, au contraire, quand elle les prend au mot et reste fidèle à elle-même que la France peut aussi, au-delà de ses frontières, parler du monde et au monde. Car la Nation, pour la gauche, est indissociable d’une perspective plus large. Car nous sommes de ce pays, la France, où l’on « vota la liberté du monde » et où l’on fit une Constitution en pensant à l’univers entier. Car «c’est en donnant aux peuples l’exemple et le signal de la justice » que la France se ressemble et se rassemble ». Le 17 novembre 2006, après avoir été choisie comme candidate à l'élection présidentielle par les militants socialistes, elle prend la parole à Melle, dans les Deux Sèvres : « Regardez, dit-elle, l'histoire de France : c'est toujours quand le peuple s'y met que la France avance et bâtit un nouvel avenir ». « Car la France, dit aussi Ségolène Royal, , à Villepinte le 11 février 2007, c'est plus que la France. La France, c'est ce drôle de pays qui, comme disait André Malraux, n'est jamais aussi grand que lorsqu'il l'est pour tous les hommes. La France, ce sont des valeurs exigeantes et belles proclamées par la Révolution française. La France, ce sont des valeurs universelles qui nous obligent et que nous devons porter haut pour ne pas décevoir ceux qui ont foi en nous. L'histoire de France est une histoire vivante. C'est une histoire qui, parce qu'elle est vivante, doit continuer de parler au monde ».
La Nation, car la France doit être fière de sa République et de sa laïcité
Le 17 janvier 2007, Ségolène Royal se réfère, à Toulon à une France fière de sa République et de sa laïcité, qui ne dresse pas les Français les uns contre les autres, parce que ses valeurs correspondent aux valeurs universelles qui nous permettent de dialoguer avec le monde sans que de vieux relents de « mission civilisatrice » fassent retour dans nos mots et dans nos attitudes. « Ni amnésie, ni repentance : je veux une France capable de porter un regard apaisé et de poser des mots justes sur son histoire ». Le 6 février 2007, au meeting parisien de la Halle Carpentier, Ségolène Royal revient, une fois encore, sur l'histoire de France et l'actualité de ses valeurs. « La France, dit-elle, n'est pas la synthèse impossible de l'Ancien Régime et de la Révolution » française. (…) « Pour nous, le droit divin et la souveraineté du peuple, ce n'est pas la même chose. Le règne de l'arbitraire et celui de la loi, non plus. Le privilège s'oppose à l'égalité et le sujet au citoyen. Bien sûr, ajoute-t-elle, il y a de la continuité dans notre histoire mais c'est la rupture opérée par la Révolution qui explique encore la France d'aujourd'hui. Car la Révolution a voulu fonder une communauté de citoyens.. La nation, ce n'est pas seulement une histoire partagée et assumée : c'est le désir de faire encore de grandes choses ensemble.
… La République ne demande à personne de renier ses origines, ses racines, ses attachements, sa culture, ses croyances : elle invite chacun à s'asseoir à sa table, à égalité de droits et de devoirs. La France de demain comme celle d'hier se nommera diversité. Et son unité se forgera dans un projet partagé. La France est diverse, multiple, colorée, métissée et pourtant très française si elle sait être fidèle à ses valeurs, protectrice de tous les siens et ouverte sur le monde. Je ne la laisserai pas se défaire. Je veux une France accueillante à toutes les mémoires mais je ne veux pas que notre espace public soit le champ de rivalités mémorielles, de confrontations sous le prétexte de l'origine, de la couleur ou de la croyance. Pour vivre ensemble à égalité de droits et de devoirs, nous avons besoin de règles. La première d'entre elles, c'est la laïcité, respectueuse de la liberté de pensée, de conscience et de culte ».
Le 28 mars 2007, Ségolène Royal dans une interview à Libération souligne que la Nation a un autre nom qui est la République. « Elle n'est pas fondée sur les racines, l'ethnie… mais sur une idée. Elle est une idée et c'est qui la distingue de ce qu'en ont fait nos adversaires ». Partisane d'une France ouverte au monde, internationaliste et généreuse, Européenne résolue, elle considère que l’affirmation de la Nation est éminemment compatible avec l'internationalisme de gauche. Elle estime simplement nécessaire de «réassurer », « consolider » l'identité nationale au moment où les Français s'inquiètent de la dilution de la Nation dans la mondialisation. Et de noter que Jaurès lui-même a réconcilié l'idée de Nation et celle d'internationalisme , au point, d'ailleurs, d'en mourir. Pour elle, la Nation n'est pas incompatible avec l'ouverture ni du point de vue local et régional ni du point de vue du fait européen. Elle insiste sur le caractère crucial de cet enjeu dans un moment où l'on observe une confusion des valeurs.
b) Reconquérir les symboles de la Nation
La Marseillaise : Le 17 janvier 2007, à Toulon, Ségolène Royal évoque la liberté, l'égalité et la fraternité malmenées par ces inégalités qui défont la France en planètes de plus en plus étrangères les unes aux autres. Elle rappelle aussi la mémoire du bataillon de Provence qui, en 1792, se porta au secours de la patrie en danger : « son chant devint notre hymne et bien des peuples de par le monde s'emparèrent à leur tour de notre Marseillaise pour clamer, chacun dans sa langue, leur volonté d'émancipation ».
En mars 2007, dans un livre d’entretiens[145], Ségolène Royal re-situe le texte de la Marseillaise dans son contexte historique : « Ce n'est pas un chant sanguinaire et xénophobe mais un hymne révolutionnaire et patriotique. C'est celui de la levée en masse, d'un peuple en armes accourant aux frontières pour protéger la France de l'invasion étrangère et défendre la République contre les troupes coalisées de l'Ancien Régime. C'est un message universel contre la tyrannie. D'autres révolutions, après la nôtre, ne s'y sont pas trompées et ont chanté La Marseillaise dans leur langue. Quand elle la chantait chaque jour avec ses élèves, avant le cours du matin et après l'étude du soir, Louise Michel en avait les larmes aux yeux. Pour elle aussi, tant de fois emprisonnée, c'était un chant de liberté et de fraternité. On ne réécrit pas à froid, simplement pour le mettre au goût du jour, un hymne qui nous rattache directement à l'épopée fondatrice de la République[146]. (…) Mais ce legs de ceux de 1789 et de Valmy mérite mieux qu'un contre-sens : que nous en assumions la transmission. Et plutôt que d'en changer les mots, que nous en fassions vivre le message.
Lors d’un meeting à Marseille, dans lequel elle fait chanter La Marseillaise, elle tient de la même façon à lever les malentendus, « c'est le chant des Républicains, … que je vous propose, ici, à Marseille, de chanter tous ensemble pour ne jamais oublier que le message universel de la France à travers le monde est plus que jamais d'actualité : la liberté, l'égalité et la fraternité.». Il s’agissait bien, déjà, de se réapproprier un chant de lutte et d'émancipation. Est en jeu la reconquête par la gauche d'un chant patriotique et porteur d'un message universel de liberté.
Le drapeau tricolore : Quelle levée de boucliers quand, en mars 2007, elle évoque « les autres pays (dans lesquels) on met le drapeau aux fenêtres le jour de la fête nationale » . Il ne s’est jamais agi de contraindre les Français à « avoir chez eux le drapeau tricolore » ! mais simplement de « reconquérir les symboles de la nation » ! En effet, la France est entraînée dans un sentiment décliniste, par une droite qui n’a cessé de vilipender le modèle français ; c’est là tout une tournure d’esprit que l’estime de soi : « en bref, porter un regard neuf sur les valeurs de la Nation et ne pas se laisser entraîner dans un dévoiement de l'identité nationale » auquel se livre (…) l'UMP. « Ce sont des éléments de rassemblement. L'identité nationale, c'est d'abord tout le peuple français » »
Ariane Mnouchkine expliquait alors dans la presse[147] pourquoi, au fronton de la Cartoucherie de Vincennes, au Théâtre du Soleil, un drapeau tricolore voisinait avec la devise «Liberté- égalité-fraternité». Elle expliquait l’avoir mis en 1995, lors du mouvement des sans-papiers. « Ils avaient une telle attente de la France, celle des idéaux de la Révolution.. Nous avons aussi alors inscrit «Liberté-égalité-fraternité» sur notre façade[148]. Pour elle, le drapeau est une métaphore : « une métaphore sert à remettre de la poésie, du sentiment dans la vie quotidienne. Voyez les petits drapeaux brandis le 14 juillet. On traduit une lutte violente par un bal. C'est évidemment aussi un signe d'union, de ralliement. D'ailleurs, «réunion» est une des significations du mot symbole »[149].
2) Une Nation qui a pour nom « République »
a) L’idée républicaine, quelques éléments
L’idée républicaine, héritée de la Révolution, « n’est pas seulement l’idée de la République », écrit Vincent Peillon[150], en évoquant « l’idéalisme républicain », elle est autant une force qu’une idée. Il note que l’heure n’est plus à la « bipartition de l’histoire » ou aux comptabilités à double colonne ordonnées autour des couples libéralisme/socialisme, individu/Etat, liberté/égalité, etc … ; ainsi l’apport de la pensée républicaine - et sa modernité - est-elle de chercher à construire un dépassement de ces oppositions binaires à travers un troisième terme, une nouvelle synthèse – un liant ? – que seraient les notions d’association, d’humanité, de fraternité ou de solidarité[151]. De nombreux chercheurs travaillent aujourd’hui à ces « études républicaines » ; en est témoin la collection « Bibliothèque républicaine » qu’il dirige, aux éditions du Bord de l’eau. Joseph Macé-Scaron ; directeur-adjoint de l’hebdomadaire Marianne, résume ainsi cette démarche : « ll est urgent de dépasser les travaux de François Furet … Non, la Révolution Française ne peut se réduire à la caricature qui en a été faite. Non, elle n'est pas la matrice du totalitarisme et le tombeau du progressisme. En fait, Peillon propose non pas d'oublier la Révolution française mais, au contraire, de la mener jusqu'à son terme ». La pensée de Ségolène Royal se situe dans cet espace républicain, avant comme après les événements, incidents, etc… ayant conduit à l’ éloignement de son ancien porte-parole de la campagne de 2007.
Jean-Fabien Spitz[152] s’efforce de montrer que la conception de la République née au début du XXème siècle a entendu concilier liberté et égalité en admettant que l’État puisse intervenir, bien loin de la caricature d’un archaïsme jacobin[153] qui aurait sacrifié la liberté, première conquête de la Révolution, à l’égalité. Il s’oppose également aux analyses de François Furet qui impute à Jean-Jacques Rousseau la faute fondamentale d’avoir sacrifié la liberté de chacun à la liberté civile, liberté de tous, volonté générale, etc … . En fait François Furet considère « la société des individus » comme incompatible avec l’égalité. JF Spitz, à travers l’étude de plusieurs philosophes républicains, nous ramène à l’idée d’une compatibilité de l’individualisme avec la souveraineté de la loi. A noter le néokantien Henry Michel, qui postule la catégorie de personne comme fondement de la citoyenneté sous le vocable de l’autonomie[154].
Selon les mots de V. Peillon, c’est un républicanisme offensif qui est présenté par JF Spitz[155], notamment à travers une théorie aboutie de la liberté individuelle qui n’est pas seulement « non-interférence » mais « non-domination ». La liberté « n’est pas l’affirmation abstraite d’un droit attaché à l’individu … mais la garantie juridique et matérielle d’une possibilité de développement et d’accès à l’autonomie, donc une forme de défense contre toutes les dominations arbitraires ». L’Etat républicain est au service de l’individu et de la promotion de ses droits. Le projet républicain se définit par l’émancipation, la liberté et « non seulement le droit, mais le pouvoir donné à chacun de développer ses facultés ». L’individualisme véritable, en tant qu’émancipation de l’individu, est le but de la République, et ne peut se concevoir que grâce à une puissance publique forte [156]. Autonomie citoyenne des individus et égalité entre tous se trouvent inséparables aux yeux de l’Etat républicain. Nous revenons peu ou prou au « socialisme républicain » déjà abordé dans notre deuxième partie à travers le livre de Philippe Chanial[157]. Celui-ci voit dans « la révolution de l’association » (1848), la seconde matrice bien oubliée (après 1789, révolution des droits de l’homme) de notre modernité démocratique. Ainsi « la République des associés », célèbre les noces de la République et du socialisme[158]. Nous pouvons retrouver le socialisme de Jean Jaurès, et son « individualisme logique et complet », ancré dans l’idée républicaine.
b) Une République indivisible, laïque et sociale.
Au-delà du cercle des chercheurs et philosophes, Ségolène Royal a entrepris, seule au sein de la sphère des dirigeants politiques d’envergure nationale, la reconquête républicaine du socialisme, à travers la réappropriation ses symboles républicains, nous l’avons dit, la défense de l’émancipation individuelle, etc … Ceci s’est fait parfois malgré l’opposition ou les sarcasmes de nombreux ténors du PS ; le processus semble enclenché cependant aujourd’hui même si les réticences ne manquent pas au sein de la Direction du PS.
Catherine Kintzler, sur Rue89[159], évoquait la gauche de Jaurès, comme République démocratique en tant qu'elle est indivisible, laïque et sociale : trois caractéristiques que le PS lui semblait avoir abandonnées, et tout particulièrement « la politique du PS telle que Lionel Jospin l'a marquée » . C’est bien là que, selon nous, se situe la rupture opérée par Ségolène Royal, qui a dû pour ce faire, se dégager de la prégnance des années Jospin. C’est également le fondement de l’hostilité à l’égard de Ségolène Royal, qui a voulu entamer la refonte idéologique de la gauche . Souvenons-nous de l’extrême dureté de l’ancien premier ministre à son égard, voire les remarques méprisantes de son épouse, philosophe réputée !
La République une et indivisible - et pourquoi pas, universelle[160] - selon les mots de Robert Badinter, n’est supposée reconnaître des citoyens qu’ « à raison des qualités qui leur sont communes et non à raison de celles qui les différencient ». Il s’agit dès lors d’opposer le «citoyen » à l’ «homme situé»[161]. Nous avons en effet hérité de la Révolution française, une conception égalitaire et universaliste du concept de citoyenneté. La division en « catégories » est antinomique à la conception républicaine de la citoyenneté. La République suppose que chacun quitte « l’ancestrale situation de dépendance personnelle envers sa communauté, sa religion, ses maîtres ».
Pour Catherine Kinzler, la notion de "parité Jospin", même si elle est issue d'un « bon sentiment » a consisté à inscrire une différence dans la constitution au prétexte de lutter contre une inégalité, sans obtenir de résultat tangible, alors que certains pays ont obtenu les résultats escomptés (avoir des élus à peu près également répartis entre hommes et femmes) « en frappant les partis au portefeuille sans prendre le risque de sacraliser une différence ».
Même si nous sommes heureux aujourd’hui de voir des listes de candidats et de candidates parfaitement alternés, il est difficile de ne pas admettre qu’en matière de représentation politique, faire produire des conséquences juridiques à des différences biologiques revient à emprunter une « fausse route », selon l’expression d’Elisabeth Badinter. Bien évidemment, être égaux ne revient pas à être identiques. La citoyenneté ne rejette pas la différence, la diversité ou la pluralité – elle les accueille pour les transcender en affirmant l’unité de l’espèce humaine.
Même si, à l’époque l’argument fut de considérer les femmes non comme une catégorie, mais comme la reconnaissance de la dualité des sexes dans l’universel républicain, je pense pour ma part à propos de la parité qu’il eût été important de ne pas considérer les femmes dans leur différence naturelle, mais comme subissant des discriminations. C’est le sens que, en 1999, voulait accorder Mme Evelyne Pisier à une modification de l’article 4 de la Constitution qui eût responsabilisé les partis aussi en matière de lutte contre la xénophobie. C’est peut-être là une divergence d’appréciation que j’aurai (rétrospectivement) avec Ségolène Royal ; j’admettrai toutefois que la rédaction finalement choisie à l’occasion de la réforme «constitutionnelle : « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » est le fruit d’un compromis qui laisse encore les choses ouvertes : seul le choix final du verbe « favoriser », qualifié de peu « engageant » par Mme Guigou, accolé au terme « égal accès » limite la remise en cause de l’universalisme.
Je pense néanmoins que le combat pour l’égalité que mène Ségolène Royal a pris acte de la grande erreur de Lionel Jospin : la confusion entre le « sociétal » et le «social », qui obscurcit le bilan de la réforme. C’est sur un contexte social peu favorable à l’accès des femmes aux responsabilités politiques qu’il eût fallu agir. Ce qui nous permet de faire le lien avec la République laïque. Pendant la campagne de 2007 , Ségolène Royal a fait à propos des femmes un discours fort remarqué : « femmes violées, femmes mutilées, femmes excisées, femmes violées, femmes infériorisées, femmes écrasées, inégalités salariales, violences faites aux femmes, mariages forcés, inégalités dans la formation professionnelle, inégalités dans l’emploi. Mon combat pour la laïcité et pour l’égalité, c’est pour vous ! » . Je pense que combattre l’universalisme, « dont l’abstraction même recèle un potentiel indispensable [162]» est un faux combat, plus précisément un combat qui se trompe de cible.Le lien avec la République sociale évoquée par Catherine Kintzler apparaît ici également : à travers, encore une fois, le renoncement à s’attaquer à la racine des inégalités (sociales) et aux discriminations ! Dès lors que l’on met en avant le fait que « la « doctrine de la citoyenneté … n’a dit mot de la nature humaine et de ses normes »[163], la remise en cause de la notion abstraite de citoyenneté porte en elle-même les germes de la représentation des seuls intérêts et en filigrane le risque de différentialisme. C’est ici que se greffe en outre la perméabilité aux théories telles que le « care » qui ont pour fondement le féminisme différentialiste américain, sans parler des créneaux horaires réservés aux femmes dans les piscines ! La République doit rester un rempart contre un « essentialisme » mâtiné de relativisme culturel, dont les femmes sont les premières victimes.
- A propos de la République laïque, Catherine Kintzler met en évidence la « légitimation (en 1989) du port du voile islamique (et donc de tout signe religieux) à l'école publique par le ministre de l'éducation de l'époque L. Jospin » ! Le débat public en aura été biaisé pour de nombreuses années.
- Quant à la République sociale, « alors là, les exemples d'abandon sont légion. », nous dit-elle. « Sans relever des exemples particuliers comme celui de Wilworde (qui est devenu un classique à droite pour justifier les délocalisations), je m'en tiendrai au nombre de privatisations effectuées par une certaine "gauche" au pouvoir, à la bénédiction d'une politique néo-libérale qui s'est poursuivie ensuite … » . Elle ajoute « l’abandon, la ghettoïsation qui fait de certains lieux des "zones de non-droit" n'ont pas été seulement le fait de la droite... ». Elle appelle ainsi à « une urgente réurbanisation de ce qu'on appelle "les quartiers" - de façon à « en priorité rétablir et multiplier les services publics en les renforçant dans ces "quartiers" qui sont abandonnés par l'Etat … »
3) Quelques mots sur la laïcité
a) Le principe de laïcité indissociable de l’égalité et la fraternité républicaines
Nous reprenons ici l’analyse de Jean-Marie Kintzler, lequel propose une analyse des différences entre démocratie communautaire et République laïque[164]. Tout comme la démocratie communautaire, nous rappelle-t--il, la République laïque a résolument tourné le dos à l'État totalitaire … comme elle, la République laïque pratique la séparation des pouvoirs, les mandats électifs, etc… Elle veille à la constitution d'un espace critique en garantissant les multiples libertés démocratiques ; bref, comme la démocratie communautaire, elle est Etat de droit (ceci pour éviter d’opposer démocratie et République ! ).
Mais la république laïque se caractérise par une seconde rupture, la rupture avec le théologico-politique. Alors que la démocratie communautaire conserve la consubstantialité entre lien religieux et lien politique, la république laïque les distingue - en séparant les Églises et l'État. La loi de 1905, modèle – fondamentalement- notre République. Pour JM Kinztler, la démocratie communautaire est fille d'une seule révolution - la révolution démocratique - qui donne naissance à l'État de droit ; La République laïque ajoute une seconde révolution, la révolution laïque proprement dite. Le principe de laïcité va bien plus loin que le simple principe de tolérance. Elle n’est pas simplement exigence de neutralité entre les religions, ajouterions-nous. C’est ce que voudraient en faire aujourd’hui les boute-feu appelant à « moderniser », « actualiser », notre conception de la laïcité. Il s’agirait tout simplement d’un changement de régime ! C’est ainsi que par l’artifice de la laïcité « positive », Nicolas Sarkozy entendait s’en tenir à la seule démocratie communautaire.
La révolution laïque a un second effet : si la démocratie communautaire, parce qu'elle institue les libertés civiles et juridiques, permet le développement de la société sous l'arbitrage de l'État, , le principe de laïcité a, pour JM Kintzler , un effet mécanique : la constitution d’un troisième pilier (tout en conservant la dualité État / société civile), le corps politique. La séparation du lien politique et du lien religieux a pour effet de rejeter ce dernier vers la société civile. Le lien politique unit les citoyens en un seul corps, le corps politique ou corps du souverain[165].
Il conclut sur la devise de notre République : « Liberté - Égalité - Fraternité ». Les libertés publiques ne sont pas l'apanage de la seule république laïque. Au-delà de leurs régions, de leurs liens communautaires, de leurs ethnies et de leurs diverses appartenances, tous les citoyens français font partie d'un même corps politique. Parce qu'il transcende la société civile, ce corps politique suscite une passion pour l'égalité. Et cette passion pour l'égalité suscite à son tour une passion pour un service public égal à la fois en qualité et en extension. Le principe de laïcité est donc consusbstantiel à cet intérêt et cette passion pour toutes les formes de solidarité républicaine. Ainsi, le dévelo
La laïcité a permis à la République de se constituer en un régime spécifique et original, patiemment, et parfois convulsivement , construit. Elle n’est pas la négation de l’aspiration humaine à l’absolu [166]. V.Peillon se référait en 2008[167], plus qu’à une religion de la Révolution (Michelet) , à une « République humanitaire » qui « doit reposer sur une foi commune en l’humanité de chaque personne, par delà toutes les différences, créant une véritable « religion de l’humanité » opposée aux religions d’autorité et aux dogmes ». Ceci n’est pas sans rappeler la philosophie de Kant qui montre la tension entre l’individualité et l’humanité[168]. La religion de l’humanité « est une religion pour l’humanité toute entière dans le respect de tous ses individus, elle conjugue universalité et différence ». Mettre à bas la religion de l’individu est facteur de désordre (dissolution sociale). Elle est ce qui nous demeure commun. En défendant l’individu, ce n’est pas l’individu que l’on défend , mais la Nation[169]. Où l’on voit qu’il existe une conception républicaine de l’ordre et de la nation ! En fait, le « républicanisme » estime que la nation permet l’individualité, et vice-versa. Quoi qu’il en soit, nous rejoignons à nouveau ici la notion de fraternité républicaine énoncée dans notre devise.
b) Promouvoir tous les « registres d'émancipation »[170]
Pour Henri Pena-Ruiz, la laïcité, (du grec laos, "peuple"), «est la présence à soi de la totalité du peuple[171]". La république laïque est faite pour le peuple tout entier. « La laïcité permet de concilier la diversité des croyances et des patrimoines culturels avec l'égalité des droits … . Et l'ouverture à l'universel est préservée par l'espace civique ». Pour lui, la laïcité est cette force d'âme fraternelle où se transcendent les «différences». Liberté, égalité et fraternité trouvent en elle leur sens plein et généreux , loin des identités exclusives. En fait, la laïcité permet également la jonction avec la république sociale ; Nous revenons dès lors à Jean Jaurès qui voyait dans le socialisme républicain une exigence de « spiritualité réelle et concrète » : la justice permettant la liberté de la personne, la question religieuse ne se peut résoudre sans la question sociale .
Henri Pena- Ruiz dans son livre Dieu et Marianne, n’apprécie guère un retour du cléricalisme qui se dissimulerait derrière une « quête de sens ». Conscient cependant que les peuples ont besoin de symboles pour se réunir, il est favorable au fait de chanter La Marseillaise, au lever des couleurs nationales et souhaite ranimer le souvenir des grands « ancêtres » pour mettre « l’Humanité en mémoire ». Il plaide en faveur de l’autonomie intellectuelle et éthique d’un citoyen résistant aux sirènes de l’argent. Nous pensons à la laïcité intériorisée, à la République intérieure de Claude Nicolet . « La laïcité républicaine est donc bien à la fois une institution collective … et une conquête de soi sur soi-même. C’est à ce prix qu’on est républicain »[172]. « Le respect de soi-même peut seul enseigner le respect des autres ».
Ségolène Royal avait signé, le 14 février 2008, "l'Appel pour une vigilance républicaine" lancé par l'hebdomadaire Marianne, Lors d’un débat organisé par Marianne sur le thème « La laïcité à la française est-elle en danger ? », à Rennes en 2008, elle avait évoqué la situation délicate des agents de la fonction publique dans ce domaine et plus particulièrement des situations « inadmissibles » dans les hôpitaux, où certains hommes, invoquant des motifs religieux, refusent que leurs épouses soient soignées par des hommes. De même les piscines municipales où des horaires sont aménagés pour éviter la mixité : « Quand il y a des horaires aménagés dans les piscines, ça ne doit jamais être pour des critères religieux, a martelé Ségolène Royal en dénonçant les municipalités […] y compris socialistes, qui ont cédé. » A Lille ou à Sarcelles, ajouterons-nous ! En 2002, Martine Aubry avait expliqué à « Maire info », le quotidien d'informations en ligne destiné aux élus locaux, que ces horaires aménagés (je dirais « réservés » aux femmes ) donnait «l'occasion pour certaines d'entre elles de s'émanciper». Ces femmes ont besoin d'un lieu pour se retrouver, pour discuter, avait-elle argué. «Faisons un petit détour (de nos principes républicains) pour que ces femmes gagnent et acquièrent leur émancipation.» [173]!
Ah, le merveilleux petit détour ! Je reviens ici au texte d’Henri Pena-Ruiz, paru dans le Monde en février 2010[174] : Dans le contexte actuel d'une crise dont les milieux populaires sont les seuls à faire les frais, une solidarité de résistance peut se construire. Elle doit s'attaquer à tous les types d'aliénation, qui d'ailleurs vont de pair, et promouvoir tous les registres d'émancipation. L'émancipation sociale et économique, par la justice sociale, n'est pas opposable à l'émancipation laïque, précieuse pour l'émancipation des femmes comme pour l'instruction publique aujourd'hui menacée de privatisation. Et de noter qu’ il serait erroné de considérer l'aliénation économique comme la seule qui compte et, partant, la seule qui doive être combattue. Il rappelle que Jaurès militait pour une République à la fois laïque et sociale : il refusait, à juste titre, de disjoindre les deux exigences, leviers complémentaires d'émancipation. L'idéologie que nous combattons, dit-il, substitue la charité à la justice sociale, et cherche à rétablir les privilèges publics de la religion.C’est pourquoi, dans le discours de Ségolène Royal que nous reproduisions précédemment, le combat pour la laïcité qu’elle invoquait, recouvrait tant la question des femmes voilées que celle de la lutte contre les inégalités.
Il est clair qu’aujourd’hui Nicolas Sarkozy utilise ces questions comme instrument de diversion ou « tapage électoraliste » qui ne règle pas même correctement la question , dirait Ségolène Royal. Nous avons indiqué dès le début de cette partie que Nicolas Sarkozy (et Eric Besson) manipulaient parfaitement les concepts ( de Nation, de peuple, de république) et qu’il nous fallait surtout combattre ce jeu d’ appropriation intéressée, malmenant les principes républicains dans des actes anti-républicains. Ainsi, écrivait Jean-François Kahn[175] : « ll suffi(sait) d’une décision … en arguant d’un principe de sécurité publique : pas de visage masqué ! (…pour… ) interdire – au sens d’effectivement empêcher - le port de la burqa dans l’espace public. Alors, pourquoi Nicolas Sarkozy n’a-t-il pas pris cette décision ? Tout simplement pour le plaisir de créer un trouble public et de l’instrumentaliser politiquement. ». Henri Pena-Ruiz rappelait pour sa part que le détournement d’une cause juste ( vers un nationalisme d'exclusion qui joue un rôle évident de diversion par rapport à la gravité humaine et sociale de la crise en cours )[176] n’invalide pas la cause en question. Il appelait donc à contrer cette tentative de diversion, et mener le combat laïque en termes justes, aux antipodes d'une territorialisation nationaliste[177].
Tel est le sens de cette lutte de la république laïque et sociale : combattre contre l’ensemble des aliénations et pour toutes les formes d’émancipation . La fraternité est ce « liant » qui fait que l’émancipation de chacun devient l’intérêt général. En elle se trouve la capacité de transcendance de la République[178].
C) Fraternité
1) Utopie, exigence morale et droits de l’individu
Au printemps 1848, dans presque toute l'Europe, les peuples se révoltent contre les monarchies[179]. Les premières mesures de la Deuxième République s’inspirent de la Révolution de 1789, mais cherchent à aller plus loin. La liberté individuelle devient un droit pour tous : rétablissement de la liberté de réunion et de la presse, abolition de l’esclavage – tous les habitants des colonies devenant des citoyens français à part entière. Le décret relatif à l’abolition de l’esclavage dans les colonies et possessions françaises du 27 avril 1848, préparé par Victor Schoelcher, membre du gouvernement provisoire, proclame que " l'esclavage est un attentat contre la dignité humaine ; [...] qu'il est une violation flagrante du dogme républicain : « Liberté, Égalité, Fraternité ».
Le principe d’égalité politique fait, quant à lui, un grand pas en avant avec l’instauration du suffrage universel [180]. La Deuxième République a le souci de créer une démocratie sociale et de militer pour l’avènement d’une fraternité universelle. L’esprit nouveau qui souffle permet en effet l'adoption d'importantes réformes[181] telles que la scolarisation obligatoire jusqu’à 14 ans, la création des ateliers nationaux destinés à offrir des emplois aux chômeurs, abaissement de la durée quotidienne du travail des ouvriers à 11 heures (10 heures à Paris).
Cependant, « La Deuxième République n’a été la république du peuple que durant le court printemps de l’année 1848 » [182] . La répression sanglante de juin « consomme l’échec du socialisme fraternitaire et même républicain [183]». La Révolution de 1848 a fait depuis l’objet d’une critique marxiste virulente : « pour le prolétariat, « la moindre amélioration de son sort reste une utopie au sein de la République bourgeoise ». Aucune prise sur le réel sans lutte des classes et adieu socialisme fraternitaire, dénué de tout sens historique ! On peut dire même que c’est notamment la prégnance du marxisme qui longtemps amènera à ne plus accorder de crédit aux auteurs du « socialisme républicain ». La fraternité n’est plus vue que comme « naïveté romantique » ou « réminiscence catholique [184]».
C’est ici que nous retrouvons la thèse de Philippe Chanial, qui occupa une large place dans notre deuxième partie. On verra également que la « fraternité » traverse l’ensemble de ces pages, à des titres différents, puisque nous avions en première partie abordé la « fraternité » comme l’ « agir ensemble », selon les termes de Régis Debray. « Ne serions-nous donc que les fils et les filles de 1789 ? L’hypothèse que nous proposons est tout autre . Si 1789 fut la révolution des droits de l’homme, première matrice de l’invention démocratique moderne, suggérons que 1848 fut la révolution de l’association, seconde matrice, oubliée, de notre modernité démocratique[185] ». Ainsi, 1848 serait le moment de rencontre, de réconciliation et de synthèse entre l’esprit démocratique et républicain et l’esprit associationiste[186]. Des associations ouvrières aux syndicats jusqu’aux lois sociales, c’est là la réalité d’une république dans laquelle la justice sociale naît de la coopération de tous[187]. Dès lors, du socialisme ce sont les fins qu’il faut retenir et de l’individualisme les moyens[188].
Autant l’affaire Dreyfus, pour J.F. Spitz[189], cristallise-t-elle « le moment républicain », autant cette assertion peut-elle être étendue à la « République fraternelle »[190] qui[191] « construit l’articulation de la liberté et de l’égalité à partir d’une exigence morale qu’elle prétend, par l’éducation, la réflexion, l’action, inscrire au fondement même du politique et au cœur de la cité. C’est ce qui a sauvé Dreyfus, la Justice, et au passage l’honneur de la France », note V. Peillon. En effet, au moment de l’affaire Dreyfus, les droits de l’individu sont devenus la question centrale. La fraternité permet de mettre en exergue les droits de l’individu à une époque où la droite défend le collectif entendu comme Etat, patrie, armée et où la gauche défend l’individu[192].
La solidarité est souvent confondue ou tout simplement plus facilement appréhendable que la fraternité. Vient dès lors la question « République solidaire ou république fraternelle »[193] ? L’une ne peut pas et ne doit pas être substituée à l’autre. Selon Ferdinand Buisson, l’idée que l’individu puisse devoir quelque chose à la société, comme l’a formulé Léon Bourgeois [194] , serait une « régression en deçà de l’idéal républicain ». En effet, « si la fraternité vaut mieux que la solidarité, c’est que cette dernière relève d’une dette à l’égard de la société, qu’il revient à la société d’estimer, alors que la fraternité renvoie à un devoir librement reconnu , à une obligation que reconnaît l’individu par lui-même et de lui-même [195]». Dire qu’il ne faut accepter que la solidarité fondée sur « l’accord volontaire des volontés personnelles »., présente celle-ci comme une composante de la fraternité, laquelle permet la pleine réalisation de la liberté e t de l’égalité.