Le 16 mars 2007, un peu plus d’un mois avant le premier tour de l’élection présidentielle, Reporters sans Frontières (RSF) a envoyé à tous les protagonistes une « lettre ouverte au futur(e) président(e) de la République concernant la liberté de la Presse en France ». Dans cette lettre, RSF leur demandait « de prendre des engagements pour mieux protéger cette liberté à l'avenir » et faisait appel à leur vigilance « concernant Internet et les tentatives de certains de toujours mieux contrôler le Web ». Pour cela, RSF a posé 8 questions aux 12 candidates et candidats. 7 ont répondu, et parmi eux les deux candidats du second tour : Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy.
Les réponses, données par les adversaires du second tour, leurs actes par la suite, ainsi que la cohérence entre les réponses données et les actions menées, éclairent crûment la dégringolade de la France dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF (-33 places depuis 2002).
D’emblée, la lettre de Ségolène Royal se démarque nettement de celle de Nicolas Sarkozy. Là où Ségolène Royal est précise, explique, développe et propose, Nicolas Sarkozy reste souvent vague, traite rapidement les points, et même parfois escamote une partie du problème. Ce n’est pas un hasard : Nicolas Sarkozy se positionne en héritier de Jacques Chirac pour la présidentielle, et ne peut donc pas critiquer le bilan de son prédécesseur, qui se reflète dans la dégringolade de la France dans le classement mondial de la liberté de la presse de RSF, de 20 places entre 2002 et 2007.
Affiche de RSF sur le liberté de la presse en France pendant la campagne présidentielle de 2007
Sans surprise, le contraste le plus saisissant apparaît sur la concentration des médias et sur le pluralisme. Nicolas Sarkozy déclare : « La situation actuelle me semble satisfaisante dans ses grandes lignes », avant d’ajouter rapidement « même si elle n’exclut pas des adaptations. ». Sur cette question fondamentale, Nicolas Sarkozy répond en moins d’un quart de page sans proposition concrète tandis que Ségolène Royal analyse et propose sur une page entière.
1- Si vous êtes élu(e) président(e) de la République, vous engagez-vous à inscrire le droit à la protection des sources dans la loi du 29 juillet 1881 et à l’appliquer à toutes les personnes qui mènent un travail d’information ? Vous engagez-vous à étendre aux domiciles des journalistes les dispositions relatives aux perquisitions dans les entreprises de presse ?
Nicolas Sarkozy se dit « prêt à inscrire le droit de tous les journalistes à la protection de leurs sources dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et à étendre à leur domicile les garanties prévues pour les locaux d’une entreprise de presse. ». Le cœur ne semble pas y être. Ségolène Royal, sur ces points, s’engage « explicitement » et croit « indispensable » d’élargir la protection des sources au domicile des journalistes. Elle va plus loin : elle souhaite étendre la protection qu’elle s’engage à inscrire dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse « aux journalistes en ligne et journalistes blogeurs exerçant sur internet. ». Une capacité de projection dans l’avenir dont Nicolas Sarkozy semble dépourvu.
Pour Nicolas Sarkozy, le cœur n’y est pas, en effet : la loi n°2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes a été adoptée et promulguée, le parcours législatif de la loi aura duré un peu moins de 2 ans, de mars 2008 à janvier 2010. Dix mois se sont écoulés entre l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Elysée et le dépôt du texte de la Garde des sceaux à l’Assemblée Nationale. Puis en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale, 1 an s’est écoulé entre un premier rapport en Commission des lois (3 décembre 2008) et le rapport complémentaire (16 décembre 2009). Pourquoi ? À cause de la frénésie législative de Nicolas Sarkozy et à la place de second rang réservée à la loi. Le rapporteur UMP Etienne Blanc l’avoue lui-même : « Son examen en séance publique a finalement fait l’objet d’un report en raison de l’encombrement de l’ordre du jour de notre assemblée. ».
Le processus aura été long, et la loi n’est pas satisfaisante : la gauche la critique et ne la vote pas.
Inscription de la protection des sources dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse
La loi du 4 janvier 2010 inscrit la protection des sources dans l’article 2 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Mais, outre le fait que les blogeurs et les collaborateurs occasionnels de la presse ne sont pas considérés comme des journalistes et ne sont donc pas protégés, le texte prévoit des exceptions : « Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie. ». Lors de l’examen en commission à l’Assemblée Nationale, la gauche a pointé du doigt ces exceptions.
La députée socialiste Aurélie Filippetti (François Lafite/filckr)
Aurélie Filippetti, parlant au nom du groupe socialiste, a martelé :
« J’observe par ailleurs que la notion d’impératif prépondérant d’intérêt public, qui émane de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, n’est pas définie dans notre droit interne, ce qui ouvre la voie à toutes les interprétations empiriques par les praticiens. », puis :
« La protection des sources des journalistes est la pierre angulaire de la liberté de la presse, elle-même élément essentiel d’une société démocratique. Il aurait été important d’affirmer très simplement cette protection à l’intérieur de la loi de 1881. Les exceptions prévues par le texte nous paraissent receler certains dangers, en particulier pour les grands reporters. (…) Comme le rappelle de manière constante la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ce n’est pas l’information elle-même qui doit être d’intérêt général, mais l’exercice de la liberté de la presse, qui est, en soi, d’intérêt général. ».
Le député écologiste Noël Mamère
Noël Mamère, au nom du groupe Gauche Démocrate et Républicaine (GDR, communistes et verts), a souligné :
« Les exceptions prévues vont fragiliser le travail des journalistes. (…) Tout le problème est de savoir qui détermine ce qu’est l’intérêt général – d’ailleurs fort difficile à déterminer. (…) La presse subit aujourd’hui tout à la fois une dépendance économique, une dépendance politique, une dépendance éditoriale : cela fait beaucoup, surtout dans un pays qui ne cesse de donner des leçons aux autres. ».
Perquisitions dans les locaux d'une entreprise de presse et au domicile d'un journaliste
La loi n°2010-1 du 4 janvier 2002 modifie l’article 56-2 du Code de procédure pénale. L’article réaffirme le rôle du magistrat pour la perquisition et du juge des libertés et de la détention pour statuer – sans possibilité de recours – sur les saisies contestées réalisées (délai de 5 jours). Là aussi, le texte n’a pas trouvé grâce aux yeux d’Aurélie Filipetti en Commission des lois :
« Le régime de la perquisition et de la saisie des documents n’a pas été modifié par le Sénat. Le magistrat instructeur continuera de s’autoriser à procéder à ce type d’opérations, sans véritables obstacles si ce n’est l’obligation de veiller à ce que ses investigations ne portent pas atteinte aux sources et ne retardent pas de manière injustifiée la divulgation des informations. On peut ainsi craindre que ces recommandations demeurent des vœux pieux, notamment en raison de la durée de cinq jours laissée au juge de la détention et des libertés pour se prononcer, laquelle permettra d’éventer largement les sources. Cette possibilité de perquisitionner dans le respect du secret des sources et de la profession, en dehors de toute mise en cause des journalistes, nous paraît quelque peu hypocrite dans la mesure où le risque d’assécher les sources des journalistes d’investigation perdurera.
Nous regrettons aussi qu’aucune sanction à l’encontre des autorités instigatrices d’une perquisition abusive ni qu’aucune indemnisation des journalistes victimes de telles perquisitions ne figure dans le texte.
Mieux encadrer la garde à vue des journalistes, "un moyen de pression" pour forcer à la divulgation des sources (la profession/AFP)
Enfin, en matière de garde-à-vue, utilisée bien souvent comme un moyen de pression pour forcer le journaliste à divulguer ses sources, le projet de loi reste en deçà des protections accordées par la loi belge, qui est une référence en l’espèce. »
2- Vous engagez-vous à vous prononcer publiquement contre l’utilisation de la notion de "recel de violation du secret de l’instruction" pour engager des poursuites contre des journalistes ?
Qu’est-ce que le « recel de violation du secret de l’instruction » ? C’est le fait de recevoir et de conserver despièces tirées d'une information en cours, ici pour les besoins d’une enquête journalistique. Les journalistes sont souvent placés devant la quadrature du cercle : « Si le journaliste n'a aucun document c'est un diffamateur, s'il possède des documents et les produits c'est un receleur, s'il possède des preuves et ne les produits pas, il est condamné. » (L.-M. Horeau, Eloge du recel).
Sur cette question, Ségolène Royal s’ « engage à modifier les textes existants », « de manière à ce que l’usage abusif de cette notion contre la presse ne puisse plus être possible », car l’usage de la notion de « recel de violation du secret de l’instruction » « est contraire à la jurisprudence récente »et « a été condamné par la Cour européenne des droits de l’homme ». Nicolas Sarkozy est nettement moins à l’aise : « C’est une question très difficile. ». Il parle de « compléter les diverses chartes déontologiques existantes. ». C’est peu.
La loi du 4 janvier 2010 a ajouté un court paragraphe à l’article 35 sur la « vérité du fait diffamatoire » de la loi de 1881 : « Le prévenu peut produire pour les nécessités de sa défense, sans que cette production puisse donner lieu à des poursuites pour recel, des éléments provenant d'une violation du secret de l'enquête ou de l'instruction ou de tout autre secret professionnel s'ils sont de nature à établir sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires. ».
L’usage abusif de la notion de « recel de violation du secret de l’instruction » étant toujours possible, contrairement au souhait de Ségolène Royal, lors des débats sur les rapports de la Commission des lois en 2ème lecture, Aurélie Filipetti, représentant le groupe socialiste, s’exclamait :
« On peut bien sûr critiquer la manière dont les journalistes exercent parfois leur métier ; mais la protection des sources n’empêche nullement une personne visée par un article de porter plainte, par exemple pour diffamation ou pour atteinte à la vie privée. En revanche, on a vu se multiplier les mises en cause de journalistes – je pense par exemple aux perquisitions au Canard enchaîné, à la mise en examen de Denis Robert dans l’affaire Clearstream et, bien sûr, à l’affaire Vittorio de Filippis – qui portent atteinte à la liberté d’informer. (…) Nous souhaitons que l’on ne considère jamais le journaliste comme un auxiliaire de police pour les affaires passées, mais que l’on puisse faire exception à la protection des sources dans les cas où cela permettrait d’empêcher, dans l’avenir, la commission d’une infraction ou d’un crime portant atteinte à l’intégrité physique des personnes. »
Denis Robert, en haut, et son livre d'investigation Clearstream, l'enquête, chez Julliard
Rappelons que Denis Robert, dans l’affaire Clearstream, a dû affronter 31 procès en diffamation… N’est-ce pas effectivement « abusif » ?
3- Vous engagez-vous à revoir l’article 226-1 du code pénal en prévoyant une peine mieux proportionnée au préjudice subi par la victime et à chercher le moyen de mettre fin à l’avalanche de plaintes au civil pour des atteintes au droit à l’image ?
Alors que Nicolas Sarkozy brasse de grands principes flous, Ségolène Royal, tout en rappelant qu’il « reste indispensable d’assurer le respect du droit à l’image », fidèle à la méthode participative, précise : « avant de revoir l’article 226-1 du code pénal, je crois indispensable qu’une large concertation ait lieu avec les professionnels de la presse ».
L’article 226-1 du code pénal punit de 45 000 € d’amende toute « atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui » (paroles prononcées à titre privé ou confidentiel, image dans un lieu privé).
4- Quelle est votre position sur la concentration des médias et quelles propositions faites-vous pour garantir à la fois l’indépendance des rédactions et le pluralisme de l’information en France ? Etes-vous favorable à l’adoption de dispositions interdisant à des groupes vivant massivement des commandes de l’Etat de posséder une majorité - voire une minorité de blocage - dans les médias d’informations générales ?
C’est sur ce thème que l’affrontement entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy est le plus frontal. C’est aussi sur celui-là où Nicolas Sarkozy doit assumer le bilan du quinquennat passé de Jacques Chirac. Ségolène Royal enfonce le clou sur le sujet du quinquennat de Jacques Chirac :
« La loi du 1er août 2000 sur le passage de l'analogique au numérique hertzien conciliait deux objectifs : inciter ces groupes historiques (TF1, M6, Canal +) à adhérer à la TNT (télévision numérique terrestre) et profiter de l'augmentation du nombre de fréquences pour favoriser le pluralisme et l'émergence de nouveaux groupes audiovisuels. Mais, depuis 2002, la majorité actuelle a mis à mal ce projet en renforçant la concentration. »
Première remarque : Nicolas Sarkozy escamote une phrase de la question dans sa lettre et donc n’y répond absolument pas. Ce n’est pas un accident, c’est volontaire. Cette phrase est : « Etes-vous favorable à l’adoption de dispositions interdisant à des groupes vivant massivement des commandes de l’Etat de posséder une majorité - voire une minorité de blocage - dans les médias d’informations générales ? ».
Nicolas Demorand : "Le Parisien, très certainement à vendre, et qui déclenche pas mal d’intérêt, notamment celui de Serge Dassault [...]" - Ségolène Royal : "Je ne le redirai sans doute pas mieux que vous."
Ségolène Royal, elle, s’exprimait encore clairement sur ce sujet dans C Politique sur France 5 dimanche 3 octobre 2010. À Nicolas Demorand qui lui demandait :
« Le quotidien Le Parisien, qui est très certainement à vendre, et qui déclenche pas mal d’intérêt, notamment celui de Serge Dassault, qui est député UMP, propriétaire du Figaro déjà et de Dassault Aviation, qui [a reçu des commandes récemment, de l’Etat] des commandes de Rafales. Quelle est votre lecture de ce dossier-là ? », Ségolène Royal répondait :
« Je n’ai pas de mot supplémentaire à ajouter dans cette confusion des places, des genres et des intérêts. Quand on est un groupe industriel qui dépend des commandes de l’Etat, prendre le contrôle en plus de plusieurs journaux, ça pose un problème. C’est vrai qu’il faut une loi anti-concentration, et puis il faut des règles sur la propriété du capital des outils de médias, bien sûr. »
Deuxième remarque : Nicolas Sarkozy, prenant prétexte d’une « industrie des médias » « menacée », estime que cette industrie « a donc besoin d’avoir des groupes solides qui la structurent. ». Et il conclut : « Par suite, la situation actuelle me semble satisfaisante dans ses grandes lignes, même si elle n’exclut pas des adaptations. ». Mais l’actuel locataire de l’Elysée reste vague sur ces « adaptations », tout juste renvoie-t-il aux propositions du rapport d’Alain Lancelot de 2005, indiquant mollement : « Je suis prêt à en reprendre certaines. ».
Ségolène Royal, pour sa part, est claire : « Mon objectif sera de faire émerger un nouveau dispositif de contrôle en mesure d’assurer la diversité des contenus et un pluralisme réel qui pourrait s’appuyer sur la définition d’un seuil d’audience à déterminer, à ne pas dépasser pour un groupe audiovisuel (proposition faite par le rapport Lancelot), sans interdire pour autant le développement de groupes français multimédias puissants. ».
Dessin de Delize
L’une des propositions du rapport Lancelot, assez détaillé, est en effet d’imposer à un groupe audiovisuel un plafond, toutes chaînes et sociétés confondues, de 37,5% de part d’audience pour la télévision, et d’instaurer une règle « Un tiers/deux tiers/trois tiers » : plafond à 100% pour chaque média si le groupe est présent sur un seul média, la télévision par exemple ; plafond aux 2/3 si le groupe est présent sur deux médias (télévision et radio par exemple) ; et plafond au 1/3 si le groupe est présent sur trois médias (télévision, radio et presse nationale par exemple).
Mais la candidate à la présidentielle de 2007 va plus loin et émet plusieurs propositions
Tout d’abord, modifier le mode de nomination du CSA, car lorsque les présidents de la République, du Sénat et de l’Assemblée Nationale sont de la même couleur politique « le pluralisme et l’indépendance ne sont plus garantis ». L’Assemblée Nationale aurait pour tâche de nommer à une majorité des 3/5èmes les membres de cette instance, rebaptisée « Haute Autorité du Pluralisme ». Nicolas Sarkozy, bien évidemment, n’écrit pas un mot à ce sujet ! Dans l’Assemblée Nationale actuelle, la majorité du président de la République n’aurait pas la majorité requise : il lui faudrait 347 voix, ou 231 voix suffiraient pour la contrer. L’UMP et le Nouveau Centre (NC) disposent de 339 voix, et le PS et la GDR 230… à une voix de la minorité de blocage. Ceux qui font la différence : 8 non inscrits, dont 3 Modem (François Bayrou, Jean Lassalle, et Abdoulatifou Aly de Mayotte). Nul doute que sur ce genre de sujet, François Bayrou ne voterait jamais avec la majorité UMP-NC…
Orange et Netvibes s'associent : Orange apporte ses 130 millions de clients (tuyaux) et Netvibes son catalogue de 200 000 widgets (contenu, petit outil permettant d'obtenir des informations : météo, actualité, carte routière, ...)
Ensuite, Ségolène Royal épingle l’absence de prise en compte des « développements en cours du secteur des médias »dans le dispositif anti-concentration : « développement d’Internet qui se joue des frontières », « importance de la détention des catalogues de contenus » - en cela Ségolène Royal a été visionnaire, la lutte pour les contenus d’Orange pour alimenter ses « tuyaux » étant venue confirmer cet élément, « importance des normes propriétaires » (nouvelles normes DVD non compatibles, consoles, décodeurs, …), « stratégie de développement autour de leur marque des opérateurs privés historiques de télévision et de radio ». Pas un mot sur tous ces thèmes de la part de l’actuel président de la République non plus !
5- Vous engagez-vous à mettre un terme à la création de nouveaux délits de presse et à ne pas multiplier les lois mémorielles qui peuvent, à la longue, avoir des conséquences néfastes pour la liberté d’expression ?
Outre le fait que les deux candidats de 2007 sont d’accord pour ne pas multiplier les lois mémorielles, Ségolène Royal est la seul à rappeler, à juste titre : « La liberté de la presse doit être préservée. Je pense néanmoins que les propos négationnistes sur les génocides ne doivent pas être tolérés. ».
Nicolas Sarkozy pendant son discours à Grenoble le 30 juillet 2010 (AFP/Philippe Desmazes)
Là où l’on rit – jaune – c’est devant l’aplomb de Nicolas Sarkozy qui affirme : « Je ne veux pas d’une repentance généralisée (…) qui dresse les Français les uns contre les autres en fonction de leurs origines. La priorité est de nous unir autour de la fierté d’être Français. ». Après le discours de Grenoble le 30 juillet 2010, et la tentation récurrente de Nicolas Sarkozy de diviser les citoyens de ce pays pour ‘régner’, les Français savent qui « dresse les Français les uns contre les autres en Fonction de leurs origines » !
6- Vous engagez-vous à rouvrir un processus consultatif sur l’épineuse question des labels sur Internet ? Vous engagez-vous à refuser la création d’une commission de déontologie pour les contenus en ligne si ses attributions, son fonctionnement et le mode de désignation de ses membres ne sont pas plus clairement définis ?
Nicolas Sarkozy fait deux choses : il supprime la deuxième phrase de la question, héritée des initiatives de Jacques Chirac et de Dominique de Villepin, sujet sur lequel Ségolène Royal revient longuement. Et il répond en une phrase vague d’une ligne, dont il a le secret : « Il s’agit d’un sujet complexe et je suis donc favorable à ce que la concertation la plus large possible reprenne. ».
De fait, aucune concertation n’a repris, le projet de décret sur la création d’une commission de déontologie pour les contenus en ligne a été suspendu. En mai 2009, la création d’un Conseil National du Numérique (CNN) voulu par Nathalie Kosciusko-Morizet, Secrétaire d'État à la Prospective et au développement de l'économie numérique, a été annoncé. L’association April – Promouvoir et défendre le logiciel libre a rappelé « les principes de gouvernance nécessaires pour le succès d'une telle démarche de concertation multi-acteurs » : « une structure de co-régulation est plus que jamais nécessaire. », a-t-elle écrit, alors que la structure associative à laquelle elle participait, le Forum des Droits sur l’Internet (FDI), devait être incorporée dans le CNN. « Aucune structure administrative ne pourra remplacer une telle structure associative. », a rappelé l’April.
Cet été, le GESTE (Groupement des Editeurs de Services en Ligne) a écrit à François Fillon pour lui faire part de ses « vives inquiétudes » : « Le fonctionnement passé et actuel du Forum des Droits de l’Internet nous semble bien loin de garantir l’indépendance et la représentativité nécessaire au futur CNN. Lors de nombreuses participations du Geste aux travaux du FDI, il est apparu que bon nombre de conclusions étaient discutées par les commanditaires des études, bien plus que par les apports des différents acteurs du marché concernés, la présidente du FDI n’hésitant pas encore récemment, lors des discussions sur les cookies, à exposer comme majoritaire sa position personnelle en total désaccord avec l’ensemble des associations ayant participé aux travaux du Forum. ».
Les inquiétudes de Ségolène Royal sont donc vérifiées : elle dénonçait « un projet de décret élaboré dans l’ombre », « en catimini », et une commission aux « compétences trop larges, et surtout mal définies », notant de plus que la composition de la commission devrait être « élargie ». Nicolas Sarkozy n’a pas fait en sorte que la concertation reprenne, et les deux défauts fondamentaux de la commission aux yeux de RSF, « son fonctionnement et le mode de désignation de ses membres », se retrouvera demain pour le CNN. La présidente du FDI a décidé toute seule, d’après un article de PC INpact du 15 novembre 2010, de dissoudre le FDI le 7 décembre prochain.
Isabelle Falque-Pierrotin est la très contestée présidente-elle fait l'unanimité contre elle - du FDI
Ségolène Royal a également proposé de réfléchir au périmètre d’une TVA réduite à 5,5% pour certains services internet d’édition en ligne, comme les abonnements payants de sites en ligne ou la vente des archives, pour en augmenter « l’attractivité ».
7- Vous engagez-vous à revoir les dispositions contenues dans la loi du 13 février 2007 sur la prévention de la délinquance afin d’éviter des recours abusifs à la loi qui pourraient porter préjudice à la libre circulation d’informations sur Internet ?
Ségolène Royal est très claire sur ce point, sur lequel Nicolas Sarkozy pratique la langue de bois. Et pour cause : il a initié cette loi en tant que ministre de l’Intérieur !
La candidate à la présidentielle de 2007 est sans concession : la loi du 13 février 2007 est « un bon exemple de législation bâclée, rédigée dans l’improvisation et pour afficher une posture de fermeté. L’impact juridique réel de cette disposition est controversé. Si, comme le pensent de nombreux juristes, cette disposition législative interdit aux non-journalistes de diffuser des vidéos ou des photos montrant des violences sur personne, même si ces actes sont commis par les forces de police, elle devra être revue. ».
Que dit le texte de la loi du 13 février 2007 ?
« Art. 222-33-3. [du Code pénal] – Est constitutif d’un acte de complicité des atteintes volontaires à l’intégrité de la personne (…) et est puni des peines prévues par ces articles le fait d’enregistrer sciemment, par quelque moyen que ce soit, sur tout support que ce soit, des images relatives à la commission de ces infractions.
À l'origine, la loi du 13 février 2007 visait le "happy slapping", qui doit être sanctionné selon les deux candidats... (Philippe Tastet)
Le fait de diffuser l’enregistrement de telles images est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. Le présent article n’est pas applicable lorsque l’enregistrement ou la diffusion résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public ou est réalisé afin de servir de preuve en justice. ».
« L’exercice normal » de la profession de journaliste ne semble en effet pas s’appliquer aux non-journalistes, les blogeurs, ou les contributeurs ponctuels.
8- Vous engagez-vous à demander aux entreprises françaises d’adopter un "code de conduite volontaire", comme celui proposé par le Parlement européen, et à prendre publiquement position en faveur d’un engagement éthique des entreprises du secteur des nouvelles technologies qui travaillent dans des pays ne respectant pas la liberté d’expression ?
L’engagement de Ségolène Royal sur ce point est total :
« Je souscris aux principes énoncés dans la résolution sur la liberté d’expression sur Internet adoptée, en juillet 2006, par le Parlement européen. Il reste désormais à la traduire en actes. L’adoption de "code de conduite volontaire" pour "mettre des limites à l’activité des entreprises dans les pays répressifs" est une première étape. ».
Dessin de Martin Vidberg (www.martinvidberg.com)
Dans le même temps, l’hypocrisie de Nicolas Sarkozy est totale, quand on pense à la récente visite du président chinois, Hu Jintao, à Paris, et au fait que le président de la République actuel n’a pas évoqué avec ce dernier le sort du prix Nobel de la paix 2010, Liu Xiaobo : « Quand on reçoit quelqu'un, pour bien le recevoir, ce n'est pas en reprochant aux gens les choses qu'on fait avancer les dossiers. C'est en essayant de les comprendre qu’eux vous comprennent aussi. », avait anticipé Nicolas Sarkozy lors de son passage à Troyes. Il est vrai que des milliards d’euros de contrats commerciaux étaient en jeu ! RSF a publié sur son site le 4 novembre 2010 : « À la différence d’Angela Merkel ou de Barack Obama, le président français n’a même pas félicité l’intellectuel pour l’attribution du prix Nobel. À croire que le président de la République française, Nicolas Sarkozy, ne lit que la presse chinoise et n’a pas été informé que le prix Nobel de la paix 2010 a été attribué à l’intellectuel Liu Xiaobo. ».
En effet, dans sa lettre à RSF en 2007, Nicolas Sarkozy répondait à cette dernière question sur un « code de conduite volontaire » et sur un « engagement éthique des entreprises » :
« Oui. Je pense que rien, et surtout pas le profit, ne justifie qu’on ferme les yeux sur les atteintes aux libertés fondamentales qui restent commises si fréquemment dans le monde. ».
En conclusion, 8 questions, 8 échecs de Nicolas Sarkozy. Demain mardi 23 novembre aura lieu l’UPP « Liberté et responsabilité de la presse et des médias : une utopie réalisable », présentée et animée par Jean-Pierre Mignard, à 18h30, à la Mairie du IVème arrondissement, à Paris, en présence de Ségolène Royal (cliquez ici pour avoir toutes les informations).
Une occasion de débattre sur ce sujet, un des grands échecs de Nicolas Sarkozy (la France a perdu 13 places au classement mondial de la liberté de la presse de RSF en 3 ans de présidence sarkozyste), avec la candidate à l’élection présidentielle en 2007, Ségolène Royal, et ses invités…
Cliquez sur le document auquel vous souhaitez accéder :
Lettre de Ségolène Royal à Reporters Sans Frontières du 12 avril 2007
Lettre de Nicolas Sarkozy à Reporters Sans Frontières du 12 avril 2007
Lettre de Reporters sans Frontières du 16 mars 2007
Frédérick Moulin