(RTL / Caroline Doutre / Abacapress)
Ségolène Royal était hier l’invitée de Jean-Michel Apathie de RTL dans l’émission Le grand Jury RTL-LCI-Le Figaro, retransmise simultanément sur a chaîne d’information LCI, filiale du groupe TF1, et RTL. Les deux journalistes Eric Revel, de LCI, et Etienne Mougeotte, directeur des rédactions du journal Le Figaro, mais qui a surtout été vice-président du Groupe TF1 SA – société cotée en bourse – et vice-PDG de TF1, maison mère de LCI, de 1989 à août 2007, et directeur général chargé de la programmation de la première chaîne d’avril 1987 à mai 2007.
Ségolène, à une contre trois, a eu affaire à forte partie, avec en face d’elle trois élèves indisciplinés tentant à tout prix de la pousser à la faute. Mais Ségolène Royal avait une énergie décuplée, se laissant couper la parole beaucoup moins facilement que d’habitude, et répondant aux attaques avec chiffres, dates et arguments. Jean-Michel Apathie, tel un élève pris en faute, dira à la fin du thème : « Vous êtes sévère ce soir ». Ce à quoi la candidate à la primaire socialiste, à qui Etienne Mougeotte tentait de poser une énième question piège façon patron d’entreprise cotée, répondit du tac au tac : « Quand on voit la misère sociale, et vous défendez là le patronat, c’est pas étonnant ! ».
Les questions pièges donc. Les trois compères faisaient mine d’ignorer totalement ce qu’était un licenciement boursier, comment le distinguer d’un licenciement économique, alors que Ségolène Royal répond régulièrement à cette question depuis des semaines. La première salve de questions vint d’Etienne Mougeotte, qui joua le benêt, faisant mine de ne pas savoir. Ségolène Royal expliqua, remarquant au passage qu’elle avait entendu des réactions du genre : « Mais qu’est-ce que c’est, les licenciements boursiers, mais voilà, Ségolène Royal qui dit encore quelque chose qu’elle ne contrôle pas… ». Etienne Mougeotte tomba alors le masque et montra qu’il avait compris en essayant de rassurer la candidate à la primaire : « Non, non, non, c’est simple, c’est des gens qui dégraissent pour essayer de faire monter le cours de bourse… ».
Que n’avait-il pas dit là ! L’élève fut sévèrement réprimandé pour avoir employé les termes du patronat : « Non, non, non, je n’ai pas envie de « dégraisser » les salariés, même entre guillemets. ».
Etienne Mougeotte tenta bien de se venger en glissant perfidement pendant que Ségolène Royal tournait les pages de la décision de justice : « Il me semble que Danone n’est plus le propriétaire de LU. », mais Ségolène Royal connaissait bien son dossier et remis à sa place l’élève rebelle : « Eh bien c’était le cas à l’époque, figurez vous. ». L’élève en resta coi.
Puis ce fut le tour d’Eric Revel, d’essayer de caricaturer la mesure proposer en généralisant : « Toute entreprise qui ferait des profits ne pourrait pas licencier, c’est ça que vous proposez ? ». Et Ségolène Royal d’expliquer à l’élève « Toute entreprise dont la croissance économique est là, dont les résultats économiques augmentent, ne peut en aucun cas prétendre qu’elle peut faire des licenciements économiques. ». Et de préciser qu’elle inscrirait l’interdiction des licenciements boursiers dans la loi en France, car les relations sociales en France sont trop « dégradées » et « archaïques » pour passer par des négociations au sein de l’entreprise.
Alors Jean-Michel Apathie tenta d’agiter le chiffon rouge de l’autorisation administrative de licenciement, cauchemar du patronat. « Vous mélangez tout », rétorqua Ségolène Royal, préconisant deux solutions : soit « il y a un partenariat dans l’entreprise avec les experts comptables qui sont là, la direction de l’entreprise, les représentants des salariés », et la détermination de ce qui est un licenciement boursier ou non se passe à l’intérieur de l’entreprise, soit le juge dira le droit sur la base de la loi, et rendra donc son verdict rapidement.
Les questions sur le thème se terminèrent sur une question d’Etienne Mougeotte, qui cherchait une situation de l’entreprise qui « coincerait » Ségolène Royal. Après un échange vif entre les intervenants (Jean Michel Apathie : « Vous êtes sévère ce soir » / Ségolène Royal : « Quand on voit la misère sociale, et vous défendez là le patronat, c’est pas étonnant ! »), Etienne Mougeotte retira sa question avant de finir de la poser, et on passa au thème suivant, la banque publique d’investissement pour les PME que Ségolène Royal a évoquée dans son discours de Bully-les-Mines.
Frédérick Moulin
La charge de Ségolène Royal contre les licenciements boursiers, extrait vidéo de LCI
bande-son de l'émission envoyée par segolene-royal.(thème des licenciements boursiers à la 13ème minute)
Etienne Mougeotte : alors venons-en, comme vous le dites, à l’essentiel. Vous êtes candidate à la primaire aux élections présidentielles, primaire socialiste, et vous avez, à Bully-les-Mines, dans le Nord, prononcé un grand discours mard… euh, jeudi. J’ai retenu un point qui n’est pas nouveau chez vous mais qui me paraît important : vous voulez vous opposer aux licenciements économiques. Alors, j’aimerais bien qu’on creuse un peu : qu’est-ce que c’est qu’un licenciement boursier – vous dénoncez les licenciements boursiers – qu’est-ce que ça veut dire, un licenciement boursier ? Ça veut dire qu’on licencie pour faire monter le cours de bourse ?
Jean-Michel Apathie : Ségolène Royal.
Ségolène Royal : en effet, merci d’avoir rappelé cette réunion tout à fait extraordinaire à Bully-les-Mines, dont le maire est par là, d’ailleurs, où il y avait plus de 1000 personnes dans cette salle, dans ce bassin minier, et avant de m’adresser à ces 1000 personnes, j’ai rencontré un certain nombre d’intervenants dans le domaine des associations caritatives. Je ne sais si vous savez ce qui se passe en France aujourd’hui, sans doute puisque vous êtes fort bien informé…
Etienne Mougeotte : il nous arrive de voyager nous aussi.
Ségolène Royal : … vous savez il se passe aujourd’hui en France quelque chose qui n’existait pas il y a même quelques mois, c’est-à-dire qu’aujourd’hui ceux qui s’adressent aux associations caritatives, au Secours ouvrier, puisqu’il y a le Secours ouvrier dans le Nord et dans le bassin minier, au Secours catholique, au Secours populaire, aux Restaurants du Cœur, ceux qui s’adressent aujourd’hui et c’est très nouveau, ce sont maintenant des salariés, des salariés qui n’arrivent plus à faire vivre leur famille avec leur salaire. Ce sont maintenant des retraités, des retraités qui n’arrivent plus à vivre avec leur retraite, c’est à dire qu’une fois qu’ils ont payé le loyer, les charges, l’essence, ils n’arrivent plus à boucler les fins de mois alors qu’ils ont un travail et alors qu’ils ont une retraite qui est le fruit du travail de toute leur vie.
Donc on n’est plus seulement dans le déclassement social, on est dans le chaos social aujourd’hui et l’inquiétude monte. On voit aussi maintenant des catégories de jeunes qu’on ne voyait pas dans ces associations caritatives, c’est-à-dire que les jeunes sont massivement rejetés dans la précarité et dans la pauvreté. Ça n’est pas d’ailleurs étonnant puisque les parents n’arrivent même plus à les aider, et les grands-parents encore moins, alors qu’auparavant, ce qui tenait dans les familles, il y avait aussi un troc entre les générations, une sorte de troc affectif, que les grands-parents ne peuvent même plus fournir à leurs enfants.
Donc la situation est extrêmement grave. Et en face de cela, on voit en effet des comportements qui sont intolérables de la part des grandes entreprises, de la part des firmes multinationales, et même d’autres, qui, en effet, pratiquent ce que j’appelle, ce que l’on appelle, ce que les tribunaux appellent des licenciements boursiers. Alors j’ai entendu, effectivement : « Mais qu’est-ce que c’est, les licenciements boursiers, mais voilà, Ségolène Royal qui dit encore quelque chose qu’elle ne contrôle pas… »
Etienne Mougeotte, coupant la parole à Ségolène Royal : non, non, non, c’est simple, c’est des gens qui dégraissent pour essayer de faire monter le cours de bourse…
Ségolène Royal, coupant la parole à Etienne Mougeotte : « qui dégraissent » ? « qui dégraissent » ? J’observe la finesse de votre vocabulaire, ça ne m’étonne pas du Figaro, « qui dégraissent », bon…
Etienne Mougeotte : il y avait des guillemets, il y a avait des guillemets, chère Madame Royal…
Ségolène Royal : des guillemets ? Eh bien moi, si vous voulez, je n’ai pas envie de « dégraisser »…
Etienne Mougeotte, parlant en même temps que Ségolène Royal : car ce terme là malheureusement est utilisé, vous le savez bien, par ceux qui les pratiquent.
Ségolène Royal : non, non, non, je n’ai pas envie de « dégraisser » les salariés, même entre guillemets.
Etienne Mougeotte : moi non plus, [puis en même temps que Ségolène Royal parle] moi non plus, moi non plus, moi non plus, moi non plus.
Ségolène Royal : donc c’est précisément parce que les gens « dégraissent » qu’il faut les sanctionner. Alors qu’est-ce que c’est qu’un licenciement boursier ? Il y a d’ailleurs un salarié de LU qui est là parmi nous, qui s’appelle Patrick Régnier, qu’est-ce que c’est qu’un licenciement boursier ? C’est ce qu’a décidé la cour d’appel de Paris, par une décision du mois de décembre dernier, ce n’est donc pas récent, c’est-à-dire que ces salariés, qui ont attendu…
Jean-Michel Apathie : décembre dernier, décembre 2010, c’est récent vous voulez dire.
Ségolène Royal : 2010, 2010…
Jean-Michel Apathie : c’est récent. D’accord.
Ségolène Royal : … donc très récent. Des salariés qui ont attendu 10 ans avant que justice leur soit rendue, il y en a plusieurs qui se sont suicidés entre temps, ils ont été « dégraissés », comme vous dites, et même l’entreprise… [Ségolène Royal est interrompue par Etienne Mougeotte] l’entreprise… l’entreprise… elle s’est dit…
Etienne Mougeotte, coupant la parole à Ségolène Royal : oui, enfin, « comme je dis », c’est une expression, malheureusement courante, vous le savez bien.
Ségolène Royal : … parce que ça en dit long sur ce que ça révèle. Et l’entreprise maintenant est une friche industrielle, sur laquelle je me suis rendue, donc c’est un désespoir total. Les salariés se sont battus seuls pour obtenir une justification, parce qu’ils voyaient bien que l’entreprise faisait des profits et que malgré tout, le patron, Danone, a décidé de fermer cette entreprise. Que dit le tribunal ? Il dit ceci…
Etienne Mougeotte, profitant du fait que Ségolène Royal tourne les pages de la décision de justice : il me semble que Danone [« Non, mais attendez… », s’exclame Ségolène Royal] n’est plus le propriétaire de LU.
Ségolène Royal : eh bien c’était le cas à l’époque [la décision de la fermeture de l’usine a été prise en 2001, l’usine a définitivement fermé ses portes en 2004, et LU a été cédé avec la branche Biscuits au géant américain Kraft Foods fin 2007 pour 6,3Md€, pour se recentrer sur les « produits santé » (eaux minérales, produits frais laitiers, alimentation infantile) pour augmenter la valeur pour les actionnaires, NdlR], figurez vous. Alors :
« L’examen des documents économiques comptables publiés par le groupe Danone dans le secteur d’activité Biscuits s’inscrit dans un cycle de croissance ininterrompu. Le salarié a fait valoir avec pertinence que le chiffre d’affaires a connu une augmentation, passant de 2,8 milliards à 3,25 milliards, que dans le rapport annuel du groupe Danone une nette progressions des bénéfices du secteur d’activité Biscuits était soulignée.
Une stabilité, voire une augmentation des résultats démontre que la compétitivité du secteur d’activité n’était soumise à aucune menace particulière, ni à des difficultés économiques objectivement prévisibles, contredisant ainsi les affirmations de l’employeur. »
« Considérant donc », dit le juge, parce que vous allez me dire : mais comment est-ce que les juges vont pouvoir apprécier la situation économique de l’entreprise ? Le juge lui-même dit :
« Il n’appartient pas au tribunal d’apprécier la pertinence des décisions prises par l’employeur, il lui revient néanmoins de contrôler la réalité du motif économique. Et la preuve de difficultés économiques prévisibles, comme l’a dit pourtant le groupe Danone », j’en ai terminé, « n’a pas été démontrée par l’employeur, et en conséquence, le tribunal juge que les licenciements sont sans cause réelle et sérieuse, et annule les licenciements. ».
Jean-Michel Apathie : qu’est-ce que vous proposeriez si vous reveniez au pouvoir …
Ségolène Royal : 10 ans après quand même…
Jean-Michel Apathie : … pour régler ce type de problème ?
Ségolène Royal : 10 ans… non mais attendez, 10 ans de souffrance de ces salariés, qui sont allés aux Assedic, qui ensuite ont perdu les Assedic, qui ont basculé dans la misère, dont plusieurs se sont suicidés, dans une indifférence totale, étant obligés eux-mêmes d’aller chercher des avocats, de se battre devant un tribunal, pour que le tribunal enfin, et c’est récent, dise, en effet, des licenciements boursiers qu’est-ce que c’est ? C’est un licenciement qui n’a que pour seul objectif d’encore augmenter la productivité financière alors même [« Et qu’est-ce que vous proposeriez ? », demande Jean-Michel Apathie], attendez, alors même [« Oui, mais on a compris, là… », répond un Jean-Michel Apathie indiscipliné] que la compétitivité économique ne cesse d’augmenter et malgré cela, on « dégraisse », et on licencie les salariés. Eh bien…
Jean-Michel Apathie : c’est vous qui l’avez dit
Ségolène Royal : … eh bien, ce que je… non j’ai repris les « entre guillemets », je reprends l’expression [d’Etienne Mougeotte].
Jean-Michel Apathie : alors vous aussi, vous mettez des guillemets.
Ségolène Royal : c’est Danone qui fait ça.
Jean-Michel Apathie : qu’est-ce que vous proposeriez si… pour éviter ce type de situation que vous dénoncez, comment, est-ce que c’est la loi qui doit l’organiser, et comment ?
Ségolène Royal : c’est très simple… c’est très simple. Il ne faut plus que les salariés attendent 10 ans pour avoir cela, donc il faut…
Jean-Michel Apathie : ah, c’et autre chose, ça d’accord.
Ségolène Royal : ah, eh bien écoutez. Donc ça veut dire…
Jean-Michel Apathie, interrompant Ségolène Royal : donc ça veut dire qu’il faut que la justice soit plus rapide ?
Ségolène Royal : non, ça veut dire qu’il faut inscrire ce principe-là dans la loi, et donner du coup l’autorisation… ce principe d’interdiction…
Eric Revel, l’interrompant : c’est-à-dire que, toute entreprise qui ferait des profits ne pourrait pas licencier, c’est ça que vous proposez ?
Ségolène Royal : absolument…
Eric Revel, lui coupant à nouveau la parole : toute entreprise, quel que soit le niveau de son profit, ne pourrait plus licencier ?
Ségolène Royal : toute entreprise qui est en phase de croissance, dont les profits augmentent, ne peut pas prétendre faire des licenciements…
Eric Revel, interrompant à nouveau Ségolène Royal : donc pas toute entreprise qui ferait des profits ?
Ségolène Royal : attendez, atten… attendez, Monsieur, laissez moi parler. Toute entreprise dont la croissance économique est là, dont les résultats économiques augmentent, ne peut en aucun cas prétendre qu’elle peut faire des licenciements économiques.
Jean-Michel Apathie, l’interrompant : qui doit en être…
Ségolène Royal : attendez…
Jean-Michel Apathie : qui doit en être le gardien de ceci ?
Ségolène Royal : vous êtes d’accord avec moi ?
Jean-Michel Apathie : qui doit en être, qui doit en être… ?
Ségolène Royal : est-ce que vous êtes d’accord déjà avec cela ?
Jean-Michel Apathie : qui doit en être, qui doit en être… ?
Ségolène Royal : ça paraît extr…
Jean-Michel Apathie : qui doit en être, qui doit en être le gardien ? qui doit en être le gardien ? L’Etat ou la justice ?
Ségolène Royal : premièrement, dans un pays démocratique qui fonctionne bien, il y a des partenaires sociaux qui doivent bien fonctionner dans l’entreprise. Donc déjà, des situations comme celles-là, par exemple, elles n’existent pas dans les pays du nord de l’Europe, ni en Allemagne. Un patron ne se permet pas de licencier des salariés s’il est en phase de croissance économique.
Eric Revel, interrompant Ségolène Royal : parce que quand même, c’est un point très important ? C’est un point très important ?
Ségolène Royal : c’est un point très important.
Eric Revel : c’est un point très important, mais la seule précision que je voulais, c’est de savoir si, si vous étiez élue présidente de la République, si vous inscririez dans la loi le fait que toute entreprise qui fait des profits n’aurait plus le droit de licencier.
Ségolène Royal : n’aurait plus le droit de licencier pour causes économiques. Car que font ces entreprises ? Aujourd’hui ce qui est autorisé, ce sont les licenciements pour causes économiques ou pour fautes. Donc on est dans un autre cas de figure. Pour causes économiques, vous croyez que nous sommes dans un pays où on peut, comme ça, licencier ses salariés du jour au lendemain ? Non Monsieur. Nous sommes dans un pays où l’autorisation de licenciement, ou la possibilité de licencier, est donnée pour causes économiques.
Donc en effet, il est bien clair que s’il n’y a pas de causes économiques pour licencier un salarié, il n’y a aucune raison de laisser l’entreprise licencier les salariés alors qu’elle a des profits en augmentations ! [« Mais je reprends ma question : c’est l’Etat ? C’est l’Etat qui doit garantir ce droit ? », tente Jean-Michel Apathie] Qu’est-ce qui paraît extravagant ? Je vais vous dire, ce qui paraît extravagant c’est que ce ne soit pas encore dans la loi. C’est vous dire… [« On a connu ça. », interjette Jean-Michel Apathie] Attendez. [« On a connu ça, excusez moi, parce que... », répète Jean-Michel Apathie] Non, non, attendez, une seconde, une seconde, je finis juste ma phrase… non, non, une seconde…
Jean-Michel Apathie, l’interrompant : on a connu le moment, on a connu le moment dans l’histoire de ce pays, récente, où c’était dans la loi, on appelait cela une autorisation administrative de licenciement, c’est-à-dire que l’Etat, par son administration, regardait quelles étaient… si les causes du licenciement étaient sincères ou pas. Ça a disparu, il y a une vingtaine d’années que l’autorisation administrative de licenciement n’existe plus, est-ce que vous souhaiteriez la remettre dans le droit français ?
Ségolène Royal : vous mélangez tout. Est-ce que je vous ai dit que je voulais remettre une autorisation administrative de licenciement ?
Jean-Michel Apathie : je ne mélange rien, je vous posais gentiment la question.
Ségolène Royal : vous mélangez tout. [« Vous pouvez me répondre avec autant de gentillesse que je vous ai posé la question. », lance Jean-Michel Apathie, avec un petit rire satisfait] Ecoutez, alors que les choses sont très simples dans la législation. La législation française est très en retard par rapport aux décisions de la justice, par rapport aux décisions du tribunal, et par rapport à ce qui se fait dans les pays plus performants que les nôtres, car moi je considère que la qualité des relations sociales dans l’entreprise, y compris sur les stratégies économiques de l’entreprise auxquelles dans les pays du nord de l’Europe, auxquelles en Allemagne les organisations syndicales ont un droit d’accès parce que c’est comme ça qu’on associe les forces syndicales à la dynamique positive de l’entreprise, c’est quand les gens sont partenaires de l’entreprise, que l’entreprise avance et devient compétitive, et pas quand les gens se méfient les uns des autres.
Et donc la transparence sur les résultats économiques de l’entreprise qui est un droit dans certains pays, et notamment dans ceux que je viens de citer, est un élément de l’efficacité économique.
Mais on est en France dans un système où les relations sociales sont tellement dégradées, sont tellement archaïques, où quand vous voyez qu’il faut de jugements comme ceux-là parce que certains patrons se comportent mal et qu’on a des entreprises-voyous, qui portent d’ailleurs atteinte à la réputation de toutes les entreprises y compris de celles qui se portent bien, alors oui, quand on a autant d’irresponsabilité dans certaines entreprises, alors oui, je réponds oui à votre question, j’inscrirai dans la loi ce principe selon lequel les licenciements boursiers ne pourront pas être possibles. Après, les parte…
Jean-Michel Apathie, cherchant ses mots : je vais reprendre ma question un peu stupide, je suis désolé mais… est-ce que c’est l’administration… enfin qui vérifie que l’entrep… j’imagine que le droit n’a de sens qu’avant que le licenciement soit appliqué ? Si le salarié est licencié de l’entreprise, et s’il doit faire valoir ses droits en justice, vous le disiez, ça peut prendre beaucoup de temps. Donc on imagine que le droit…
Ségolène Royal, l’interrompant : surtout quand la loi ne dit pas les choses ; là ce sera beaucoup plus rapide.
Jean-Michel Apathie : le salarié doit pouvoir faire valoir son droit avant d’être licencié, j’imagine, dans votre esprit ?
Ségolène Royal : bien sûr, mais il peut le faire dans l’entreprise.
Jean-Michel Apathie, cherchant à nouveau ses mots : donc, qui vérifie… mais auprès de… qui dit : le chef d’entreprise a raison ou a tort de licencier ?
Ségolène Royal : il y a deux hypothèses soit il y a des relations sociales normales dans l’entreprise, modernes, correctes, où à ce moment là, il y a un partenariat dans l’entreprise avec les experts comptables qui sont là, la direction de l’entreprise, les représentants des salariés, et c’est facile à voir ensemble…
Jean-Michel Apathie, l’interrompant : absolument. Et si ça n’existe pas ?
Ségolène Royal : … et donc ça c’est quand même la meilleure des solutions. Il y a un dialogue social garanti par des experts indépendants puisque dans beaucoup d’entreprises du nord de l’Europe et d’Allemagne, c’est comme ça aussi que cela se passe, c’est-à-dire, les partenaires sociaux se mettent d’accord sur la désignation d’un expert qui va dire si, oui ou non, les licenciements sont boursiers ou non. Donc ce cas…
Jean-Michel Apathie, lui coupant la parole : mais si ça n’existe pas ?
Ségolène Royal : attendez. Moi c’est la société que je souhaite construire. C’est une société où les gens se parlent, où il y a de la transparence, où les gens se font confiance, parce que c’est comme ça qu’une entreprise avance, c’est pas avec des conflits sociaux, des mensonges, ou la façon d’occulter les comptes que les entreprises avancent, parce qu’un jour ou l’autre ça va se retourner contre les entreprises.
Jean-Michel Apathie : vous ne voulez pas confier à quelqu’un extérieur à l’entreprise, un tiers, l’administration, ce type de droit ?
Ségolène Royal : c’est pas forcément utile. Et ensuite, s’il y a un désaccord, à ce moment-là le juge intervient et dira le droit. Donc les choses sont assez simples. Mais pour ça il faut changer de mentalité, et je pense que la mutation considérable encore que les entreprises ont à faire en France, c’est vraiment de développer cet esprit de partenariat dans l’entreprise, et je crois que là les organisations patronales devraient enfin le comprendre.
Etienne Mougeotte : moi je voudrais prendre un exemple très précis. Une entreprise fait une année des profits…
Ségolène Royal : ah, ça vous… ça vous trouble, hein de pouvoir contrôler les entreprises…
Etienne Mougeotte : ah, pas du tout… ah non alors, pas du tout, mais je me posais une…
Ségolène Royal : ça vous perturbe. Allez-y.
Etienne Mougeotte : je peux vous poser une question ?
Ségolène Royal : allez-y.
Etienne Mougeotte : une entreprise fait beaucoup de bénéfice
Jean-Michel Apathie : vous êtes sévère ce soir. Vous êtes sévère ce soir, Ségolène Royal, hein.
Ségolène Royal : non, mais attendez… [« Je peux ne pas la poser. Si c’est pour vous être agréable... je ne pose pas la question, hein. », s’exclame Etienne Mougeotte dans un dernier sursaut] quand on voit la misère sociale, et vous défendez là le patronat, c’est pas étonnant !
Jean-Michel Apathie : on peut changer de sujet si… vraiment, il n’y a pas de problème.
Ségolène Royal : non, non, non, mais écoutez… mais écoutez, quand on voit la misère sociale des salariés…
Etienne Mougeotte : on la voit autant que vous la misère sociale.
Ségolène Royal : eh bien alors, comment vous n’acceptez pas ce que je dis là ?
Etienne Mougeotte : je n’ai pas posé ma question, je la retire.
Ségolène Royal : mais posez la, posez la votre question.
Jean-Michel Apathie : Eric Revel [pour le thème suivant, la banque publique d’investissement pour les PME que Ségolène Royal a évoquée dans son discours de Bully-les-Mines, NdlR].
Etienne Mougeotte : je la retire.