Affaire Woerth-Bettencourt et conflits d'intérêts (dessin de Martin Vidberg, www.martinvidberg.com)
Transparency International (TI), la principale ONG internationale qui se consacre à la transparence et à l’intégrité de la vie publique et économique, a publié hier mardi son Indice de Perception de la Corruption (IPC) 2010.
TI fédère plus d’une centaine de sections et points de contacts nationaux affiliés présents sur tous les continents. Créée en 1993 par un ancien directeur de la Banque mondiale, l’allemand Peter Eigen, TI est présidée depuis 2005 par la canadienne Huguette Labelle, chancelière de l’Université d’Ottawa et ancienne présidente de l’agence canadienne de développement. Transparence International France (TI France), l’antenne française de TI, est une association loi 1901 présidée depuis 2003 par Daniel Lebègue, ancien directeur du Trésor.
Transparency International : "près des trois quarts des pays évalués" sont perçus comme gravement corrompus (AFP/John Macdougall)
L’IPC 2010 porte sur 178 pays, évalués en fonction de la perception du niveau de corruption affectant leur administration publique et classe politique, et fait apparaître que près des trois quarts des pays évalués ont un score inférieur à 5, sur une échelle allant de 0 (haut niveau de corruption perçu) à 10 (haut niveau d’intégrité perçu). La France recule encore d’une place, au 25ème rang.
TI souligne qu’« il est nécessaire que les gouvernements prennent des mesures anti-corruption dans tous les domaines où ils opèrent, qu’il s’agisse des réponses apportées à la crise financière et au changement climatique ou des actions entreprises par la communauté internationale pour éradiquer la pauvreté. Transparency International plaide par ailleurs pour une mise en œuvre plus stricte de la Convention des Nations Unies contre la Corruption qui offre le cadre légal le plus complet pour combattre la corruption. ».
Le Danemark, la Nouvelle-Zélande et Singapour occupent la première place du classement avec une note de 9,3/10 (DR)
Le Danemark, la Nouvelle-Zélande et Singapour se partagent la première place avec un score de 9,3. Suivent la Finlande (4ème ex æquo), la Suède (4ème ex æquo), le Canada, les Pays-Bas, l’Australie (8ème ex æquo), la Suisse (8ème ex æquo) et la Norvège. Au total, 10 Etats membres de l’Union Européenne se classent devant la France, en ajoutant le Luxembourg (11ème ex æquo), l’Irlande (14ème), l’Autriche (15ème ex æquo), l’Allemagne (15ème ex æquo), le Royaume-Uni (20ème) et la Belgique (22ème ex æquo) à la liste.
La France, avec une note de 6,8 et la 25ème place, ne peut pas se satisfaire d’un rang où elle surclasse 16 Etats membres de l’Union sur 27, car elle est immédiatement talonnée par 3 Etats membres, l’Estonie (26ème, +1), la Slovénie (27ème, inchangé) et Chypre (28ème ex æquo, -1), et est suivie de près par l’Espagne (30ème ex æquo) et le Portugal (32ème). De plus, juste en dessous, 3 pays progressent vite, Malte (37ème, +8), la Pologne (41ème ex æquo, +8) et la Lituanie (46ème ex æquo, +6).
Transparence International France revient sur les causes de ce nouveau recul en 2010, après un recul de même ampleur en 2009 :
« Plusieurs raisons expliquent que les entreprises et experts internationaux interrogés continuent à avoir une image relativement dégradée de la classe politique française. Entre janvier 2009 et septembre 2010, l’actualité française a été marquée par plusieurs affaires dont l’audience a largement dépassé nos frontières.
Attentat de Karachi : "la piste de l’arrêt du versement de commissions occultes" et "l’existence de rétro-commissions" (dessin de Placide)
Au premier rang de celles-ci, on peut citer le rebondissement, en juin 2009, de l’enquête sur l’attentat de Karachi qui, selon les familles des victimes, privilégie désormais la piste de l’arrêt du versement de commissions occultes pour expliquer l’attentat et aurait par ailleurs établi l’existence de rétro-commissions. Outre cette affaire également marquée par un énième usage abusif du secret défense dans une affaire de corruption, le projet de suppression du juge d’instruction et la nomination contestée d’un certain nombre de procureurs conduisent les observateurs internationaux à s’interroger sur l’indépendance et les moyens d’action de la justice française pour mener à bien des enquêtes dans des dossiers politico-financiers sensibles. Dans son arrêt rendu le 29 mars 2010 dans l’affaire Medvedyev, la Cour européenne des droits de l’Homme avait pointé la subordination hiérarchique du parquet français à l’exécutif et rappelé que les magistrats du parquet devraient « présenter les garanties requises d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties ».
Par ailleurs, dix ans après la ratification par la France de la Convention OCDE, la justice française n’a conduit à son terme presque aucune des procédures engagées pour corruption d’agent public étranger, ni prononcé de condamnation, à l’exception d’un dossier de faible importance. « La volonté de la France de mettre en œuvre les engagements pris au titre de la Convention OCDE, du Conseil de l’Europe et de la Convention des Nations Unies contre la corruption est de plus en plus mise en doute par la communauté internationale », souligne Daniel Lebègue, président de TI France.
Affaire Woerth-Bettencourt et conflits d'intérêts (dessin de Martin Vidberg, www.martinvidberg.com)
Plus récemment, la controverse sur les conflits d’intérêts suscitée par l’affaire Woerth-Bettencourt qui a éclaté durant l’été 2010, a jeté un peu plus le doute sur les pratiques de la classe politique française. Celles-ci doivent évoluer vers plus de transparence et mieux garantir la primauté de l’intérêt général sur les intérêts particuliers. C’est une condition indispensable pour que la classe politique française retrouve la confiance des observateurs internationaux mais, aussi et surtout, celle de nos concitoyens. Les déclarations récentes des différents leaders de partis sur la question des conflits d’intérêts laissent entrevoir une évolution possible. Il s’agit maintenant de traduire ces intentions en actes. C’est à cet objectif que répondent les propositions présentées aujourd'hui même [mardi 25 octobre 2010] par TI France à la Commission de hauts magistrats mise en place pour prévenir les conflits d’intérêts dans la vie publique. »
En résumé, TI France a proposé, dans le cadre des travaux de la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêt, et au terme d’un rapport d’une dizaine de pages :
-concernant les élus et membres du gouvernement, la mise en place d’ « une déclaration préalable d’intérêts annuelle et publique »,
-et « concernant les fonctionnaires, le renforcement du rôle de la Commission de déontologie et l’application effective des règles déjà existantes ».
Le débat, entamé le 24 juin 2010 par TI France, est donc marqué par une nouvelle étape. Il se devra se poursuivre pour battre en brèche le constat posé en décembre dernier par le premier « baromètre de la confiance politique » rendu public par le CEVIPOF, qui révélait que 76% des personnes interrogées ne faisaient pas confiance aux partis politiques.
Frédérick Moulin