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6 juin 2010 7 06 /06 /juin /2010 11:06

shanghai-aout-2007-Mark-Ralston-AFP.jpg

Investisseur à la bourse de Shanghai en août 2007 (photo AFP Mark Ralston)

La crise, en plus de tout le reste, pervertit les âmes. Rend égoïstes. Les Français, par exemple, si prompts à se mobiliser pour le sort des plus démunis, ne se préoccupent plus que de l'âge de leur départ à la retraite. Et les riches Occidentaux sont tellement accaparés par leurs propres difficultés économiques qu'ils ne songent plus guère, pour ne pas dire plus du tout, aux conséquences de la crise pour les pauvres.  

Les "vrais" pauvres, serait-on tenté de dire si l'on n'avait pas peur de heurter, sans protection sociale, sans revenu minimum, sans assistance d'aucune sorte, sans rien, les pauvres extrêmes, absolus, ceux qui gagnent moins de 1,25 dollar par jour.

Beaucoup craignaient qu'en cassant la croissance (le PIB des pays émergents est revenu de 8,3 % en 2007 à 2,3 % en 2009), la crise stoppe aussi la baisse, fulgurante, sans précédent dans l'histoire de l'humanité, de la pauvreté que le monde a connue depuis vingt ans.

Qui se résume en quelques chiffres fournis il y a quelques semaines par la Banque mondiale (BM). Entre 1990 et 2005, le pourcentage de pauvres est passé de 42 % à 25 %. L'essentiel de ce recul est venu de la Chine communiste, grand vainqueur de la mondialisation libérale, où le taux de pauvreté a fondu de 60 % à 16 % (de 683 millions à 208 millions de personnes).

Une extinction du paupérisme, comme aurait dit l'autre, aux effets vertueux multiples, qu'il s'agisse de la hausse du taux de scolarisation ou de l'accès à l'eau salubre, de la baisse du nombre d'enfants travaillant ou de la mortalité maternelle.

La bonne nouvelle, c'est que, malgré la crise, cette augmentation du bien-être matériel, même infime, le passage du rien au presque rien, devrait se poursuivre.

La mauvaise nouvelle, c'est qu'à cause de la crise, la baisse de la pauvreté sera plus lente que prévu. Sans la géniale créativité des banquiers et le goût immodéré des Américains et des Européens pour la vie à crédit, le monde n'aurait plus compté que 865 millions de pauvres en 2015, selon la BM. On devrait finalement en dénombrer 918 millions. Toujours en 2015, sans la crise, 260 000 enfants de plus auraient eu le droit de vivre au-delà de 5 ans et plus de 350 000 élèves auraient pu achever le cycle d'études primaires. De quoi relativiser nos malheurs de riches. Qu'il est doux, en comparaison, de payer un peu plus d'impôts ou de travailler un peu plus longtemps.

Dieu merci - un grand merci, même -, la croissance est revenue dans les pays émergents, plus vite et plus fort qu'on ne l'espérait (6,3 % attendus dès cette année). Et la clé de tout, pour combattre la pauvreté, c'est la croissance. Cela relève de la brève de comptoir, mais pour combattre la pauvreté, mieux vaut créer de la richesse.

N'en déplaise à nos chers amis les décroissants, dont les conseils avisés d'Occidentaux confortablement logés et grassement nourris n'intéressent en vérité que très peu les dirigeants des pays émergents. Ces derniers, cela paraît incroyable et insensé, se soucient d'améliorer le sort misérable d'une partie de leurs populations, et ils veulent de la croissance, beaucoup de croissance. Le premier ministre indien s'est fixé un objectif de 10 %. Le Brésil vise plus de 6 %, ce qui permettrait d'ajouter quelques millions supplémentaires aux 31 millions de Brésiliens qui sont sortis, en sept ans, "d'une pauvreté abjecte" pour reprendre la formule du président Lula. Quant à la Chine, elle paraît bien partie (12 % au premier trimestre) pour dépasser les 10 %.

Mais voilà, si la croissance forte, c'est bien, la croissance trop forte, cela peut vite virer au cauchemar. Et aggraver le fléau de la pauvreté qu'on prétend justement combattre. Or, aussi sûrement que la déflation menace l'Europe, la surchauffe et l'inflation menacent aujourd'hui les BIC (Brésil, Inde et Chine).

En premier lieu la Chine. Au lieu de potasser des manuels pour spéculer en Bourse, les dirigeants du PC chinois auraient mieux fait de relire Marx. Ils auraient été moins surpris par ce qui vient de se produire dans les usines de Foxconn et Honda, dont les ouvriers ont obtenu des hausses de salaires de plus de 20 %.

"La tendance générale de la production capitaliste, déplorait donc ce cher vieux Karl, n'est pas d'élever le niveau moyen des salaires, mais de l'abaisser (...). Est-ce à dire que la classe ouvrière doive renoncer à sa résistance contre les atteintes du capital et abandonner ses efforts pour arracher dans les occasions qui se présentent tout ce qui peut apporter une amélioration temporaire à sa situation ? Si elle le faisait, elle se ravalerait à n'être plus qu'une masse informe, écrasée, d'êtres faméliques pour lesquels il n'y aurait plus de salut."

Le gouvernement chinois, trop occupé à scruter la Bourse de Shanghaï, avait donc oublié jusqu'aux principes même de la lutte des classes. Les salariés de Foxconn et de Honda, qui en avaient assez d'être " ravalés à une masse informe", viennent de les leur rappeler.

Les belles augmentations qu'ils viennent "d'arracher" devraient certes participer au rééquilibrage de la croissance chinoise vers la demande intérieure. Mais elles pourraient en revanche, paradoxalement, compromettre la lutte contre la pauvreté dans le pays.

Car l'inflation n'est pas seulement l'ennemie des rentiers, elle est d'abord l'ennemie des plus démunis, impôt inique qui frappe en premier lieu les plus faibles. Ce constat avait d'ailleurs conduit l'économiste américain Arthur Okun à créer, dans les années 1970, un misery index, très simple, addition du taux de chômage et du taux l'inflation.

En Chine, cet indice de la misère s'établit à 7 % (4,2 % de chômage et 2,8 % d'inflation) contre 2,8 % il y a un an (4,3 % de chômage et - 1,5 % d'inflation). Et il risque fort de grimper encore, au rythme où la flambée salariale attisera celle des prix de l'immobilier (+ 12,8 %).

Il est autrement plus facile de manipuler le cours du yuan ou de censurer Internet que de contenir l'appétit de consommation des ouvriers. Et que d'empêcher l'apparition des bulles spéculatives. Alors en plus de relire Marx, les responsables du PC chinois seraient bien avisés de se replonger aussi dans Lao-tseu. "Arrêtez le mal avant qu'il n'existe ; calmez le désordre avant qu'il n'éclate."

Pierre-Antoine Delhommais

 lemonde pet daté du 6 juin 2010

 

 

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