La Palestine est morcelée (Cisjordanie) ou assiégée (bande de Gaza).
Alors que l’Europe n’a plus de politique de voisinage ambitieuse et que les Etats-Unis ont d’autres priorités, la bande de Gaza subit un blocus qui n’a pour victime que les populations locales (1,5 million d'habitants en 2008).
Quel rapport entre ces trois faits ? Des rapports étroits (« L’Union Européenne a-t-elle encore une politique de voisinage ambitieuse ? ») :
-Israël, la Palestine et la Turquie font partie de l’Union pour la Méditerranée (UPM) instituée par l’Union Européenne, et l’UPM piétine ;
-la Turquie a ouvert des négociations d’adhésion à l’Union en 2005, sans perspective assurée d’aboutir avant au moins 2014 ;
-la Turquie avait des liens privilégiés avec Israël jusqu’aux récents événements au large de Gaza (« Israël et la Turquie, la fin d’une époque », Le Monde daté du 4 juin 2010) ;
-l’opération « Libérez Gaza » était le fait d’une ONG turque, IHH ;
-et la Turquie est la clé à bien des problèmes de la région, du fait de sa position géographique : mercredi 9 juin 2010, la Turquie, membre du Conseil de Sécurité de l’ONU jusqu’en 2011, a voté contre des sanctions à l’Iran (activités nucléaires), comme le Brésil, le Liban s’abstenant et les 12 autres pays votant pour.
À quand une vraie politique pour la Palestine et pour la bande de Gaza, en Europe, en France, et chez les femmes et les hommes politiques ?
F.M.
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9 juin 2010
A quoi sert le blocus de Gaza ?
Sécurité, diplomatie, opinion publique : quelles sont les stratégies d'Israël et du Hamas ? Comment les Palestiniens le contournent-ils ?
" Vous voulez Gaza ? Très bien. Prenez-le. " Cette conclusion d'un article de Aluf Benn, dans le quotidien Haaretz, s'adressait à la communauté internationale. Ce n'était qu'une demi-plaisanterie : les Israéliens sont lassés des problèmes de sécurité engendrés par cette bande de terre de 41 kilomètres de long, frontalière de l'Egypte, qu'ils considèrent comme un foyer de terrorisme. En 1992, le premier ministre israélien, Itzhak Rabin, rêvait déjà de voir Gaza " sombrer dans la mer".
L'épisode de la flottille pour Gaza, argumentait l'éditorialiste, offre une bonne occasion de terminer ledésengagement opéré en septembre 2005, lorsque l'armée israélienne et quelque 8 000 colons ont évacué la bande de Gaza. Israël, expliquait-il, devrait se désintéresser du sort du 1,5 million de Gazaouis, fermer hermétiquement sa frontière terrestre, et confier le ravitaillement de ce territoire de 360 kilomètres carrés à l'Egypte et, par la mer Méditerranée, à la communauté internationale.
Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a expliqué ces derniers jours pourquoi il ne suivrait pas ce conseil : Israël ne prendra pas le risque de voir Gaza devenir un " port iranien ". Peut-on imaginer d'instaurer un mécanisme international de surveillance qui permettrait de filtrer tout le commerce maritime de Gaza ? L'idée fait son chemin, mais l'exemple de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), qui n'a pas empêché le réarmement du Hezbollah, n'inspire pas confiance à Israël.
C'est pour cette raison que l'Etat juif, sous la pression internationale, continuera d'alléger le blocus de Gaza sans y renoncer. Le Dr Ahmed Youssef, conseiller politique d'Ismaïl Haniyeh, premier ministre du gouvernement du Hamas, le constatait il y a quelque temps : " Israël continuera son blocus tant que le Hamas sera seul au pouvoir à Gaza. " Puisque celui-ci est là pour durer, la meilleure façon d'éloigner les critiques internationales n'est-elle pas de contester jusqu'à son existence ?
La continuation d'une très ancienne politique israélienne
C'est ce qu'a fait le 23 mars le chef d'état-major des armées, le général Gabi Ashkenazi, en affirmant que les Gazaouis ne sont pas " assiégés " et ne connaissent pas de " crise humanitaire ". Ce déni permet de réfuter toute idée de " punition collective " imposée à une population civile dont 1,1 million de personnes survivent grâce à l'aide internationale, et de récuser l'image de Gaza, " prison à ciel ouvert ". En un sens, l'attitude actuelle des autorités israéliennes n'est que la continuation d'une très ancienne politique appliquée à l'enclave palestinienne.
Source : OCHA, Le Monde
Car les origines du blocus de Gaza sont bien antérieures à son instauration formelle lors de la prise du pouvoir par la force du Hamas, en juin 2007. Dès les lendemains de la guerre de 1967, Israël a mis en place à Gaza une administration militaire, qui restera en fonction jusqu'à la création de l'Autorité palestinienne, en 1994. Son objectif était clair : affaiblir Gaza, démographiquement (par des déportations dans le Sinaï), et par un blocus économique, qui s'exercera par la fermeture du port.
Sara Roy, chercheuse au Centre des études sur le Proche-Orient de l'université Harvard et spécialiste reconnue de Gaza, explique dans ses publications que " le déclin, la destruction de l'économie et de la société de Gaza ont été délibérés, le résultat d'une politique d'Etat, consciemment planifiée et mise en oeuvre. Si Israël en porte la responsabilité principale, ajoute-t-elle, les Etats-Unis et l'Union européenne, parmi d'autres, sont également coupables - par leur silence - , ainsi que l'Autorité palestinienne ".
Dessin de Martin Vidberg (www.martinvidberg.com)
Lorsque éclate la seconde Intifada (septembre 2000), rappelle Sara Roy, " la politique de fermeture d'Israël est en place depuis sept ans, entraînant des niveaux de chômage et de pauvreté qui étaient sans précédent. Si cette politique s'est révélée si destructive, c'est en raison d'un processus vieux de trente ans consistant à intégrer l'économie de Gaza dans celle d'Israël, qui a sapé la base économique locale en la rendant dépendante d'Israël. Résultat, lorsque Gaza a été séparé d'Israël par le blocus, les moyens d'une autosuffisance n'existaient plus ".
Le blocus et les destructions causées par la seconde Intifada sont intervenus " sur une fondation déjà minée par trente-huit ans d'une politique israélienne délibérée d'expropriation, d'intégration et de dé-institutionnalisation, qui avait depuis longtemps dépouillé la Palestine de son potentiel de développement, en s'assurant qu'une structure économique (et donc politique) viable ne pouvait émerger ", ajoute Mme Roy.
Une coopération sécuritaire égypto-israélienne
Ce processus sera complété en 2005, notamment sur le plan juridique. En évacuant Gaza, Israël croit s'affranchir des devoirs résultant de la position d'Etat belligérant, qui obligent à pourvoir à la protection et aux besoins d'une population occupée. Dans les faits cependant, outre qu'une coopération sécuritaire égypto-israélienne permet de maintenir le blocus terrestre, Israël " occupe " de facto Gaza en décidant ce qui doit entrer dans le territoire, et qui peut en sortir.
Enoncer les raisons qui ont poussé les autorités israéliennes à instaurer le blocus revient à montrer l'échec de cette politique : Israël a longtemps cru qu'en maintenant Gaza en vase clos, un soulèvement populaire allait délégitimer le gouvernement du Hamas, voire permettre de le renverser. Par le même procédé, l'Etat juif espérait obtenir la libération du soldat israélien Gilad Shalit, capturé le 25 juin 2006.
Paupérisation croissante du territoire
Si des tiraillements sont perceptibles à ce propos au sein de la direction du mouvement islamiste, et si celui-ci doit juguler la surenchère des groupes islamistes radicaux, le gouvernement d'Ismaïl Haniyeh n'en est pas menacé pour autant. Reste que la conjonction du blocus israélien et du tour de vis imposé par les Egyptiens sur leur frontière avec la bande de Gaza contribuent à la paupérisation croissante du territoire.
Le non-paiement des salaires des fonctionnaires, l'instauration de nouvelles taxes impopulaires, les raids organisés par les forces de l'ordre pour vider les coffres de banques contrôlées par l'Autorité palestinienne, sont autant de signes qui attestent cette crise de trésorerie. Celle-ci est en outre accentuée par les difficultés rencontrées par le Hamas pour percevoir les fonds accordés par l'Iran, lesquels alimenteraient plus des deux tiers de son budget.
Calme relatif
Israël - c'est, de son point de vue, la principale justification du blocus - peut cependant se prévaloir du calme relatif qui règne dans la région depuis la fin de l'opération " Plomb durci ", le 17 janvier 2009, signe que son pouvoir de " dissuasion " perdure. Ce statu quo fait l'affaire d'Israël mais rend dérisoires les condamnations de la communauté internationale, et plus encore ses efforts financiers pour reconstruire Gaza : les donateurs se sont fait plaisir en annonçant, en mars 2009, une aide de 4,5 milliards de dollars (3,7 millions d'euros) pour la reconstruction du territoire, dont une infime partie a pu profiter aux Gazaouis.
Les tunnels entre Gaza et l'Egypte sont un des seuls canaux d'approvisionnement pour les Palestiniens (SUHAIB SALEM/REUTERS)
UNE LISTE ÉVOLUTIVE DE PRODUITS INTERDITS
Les témoignages de commerçants palestiniens ou de membres d'ONG permettent d'établir une liste des produits qu'Israël refuse de laisser entrer à Gaza.
En voici quelques-uns.
- Sauge, cardamome, cumin, coriandre, gingembre.
- Confiture, confiserie (halva, bonbons, biscuits), chocolat.
- Fruits secs : graines et noix, noix de cajou, chips, viande fraîche.
- Plâtre, goudron, bois de construction, ciment, fer.
- Conteneurs en plastique, verre ou métal, tunnels d'irrigation, matériel de serre, radiateurs, pièces détachées de tracteurs, rasoirs, machines à coudre.
- Tissu pour vêtements.
- Cannes à pêche, filets, bouées, jouets, instruments de musique.
- Feuilles de papier A4, carnets, journaux.
- Chevaux, ânes, chèvres, bétail, poulets.
Laurent Zecchini (Jérusalem, correspondant)